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Les amants de Brignais

Les amants de Brignais

Titel: Les amants de Brignais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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serait-ce que pour sauver ta peau !
    – Prends garde à la tienne, grommela Tiercelet.
    Puis, tourné vers Oriabel :
    – Ah ! Ma beauté, tu m’en fais faire des choses !… De Brignais à Carcassonne, il y a bien cent lieues…
    – Davantage, dit Tristan. Au moins cent trente !
    – Si tu pars maintenant, dit Bagerant, et à raison de douze ou quinze lieues par jour, tu peux être de retour à la fin du mois.
    – Je vais partir, dit Tiercelet. Avant midi.
    – Veux-tu un ou deux compagnons ? Les chemins sont peu sûrs.
    – À qui le dis-tu ! s’esclaffa le brèche-dent. Je risque d’y rencontrer des routiers… qui peut-être seraient tiens !… Non, point de compagnons : le seul auquel je tienne, c’est Tristan. Puisque tu le gardes, je cheminerai seul.
    Bagerant eut un mouvement du menton vers le haut, suprême démonstration du dédain :
    – Je vais descendre au château. Je t’y ferai seller un de nos meilleurs coursiers… Tu en auras un de rechange… Je te ferai donner quelques écus…
    – Que je devrai te rembourser ! trancha Tristan.
    – Evidemment… Quand on prétend pouvoir en disposer de mille, on peut sans grand dommage en ajouter cinquante.
    « Pense-t-il vraiment mon père riche à ce point ? Est-il si bête ? »
    Soudain, Tristan crut brûler  : en éloignant son seul appui solide, Tiercelet, le routier s’en débarrassait avec un argument infrangible : l’amitié, composée de confiance et de dévouement. Mais dans quelle intention perverse ? Il ne put satisfaire à ces questions : la porte venait de claquer, secouant fortement son chambranle.
    – Ouf ! dit le brèche-dent.
    – Le démon !
    Oriabel se taisait, redoutant, semblait-il, la faillite d’une entreprise dont l’importance même émouvait Tiercelet. Après s’être recueilli un moment, l’ancien mailleur prit son « compère » par l’épaule :
    – Ne perdons pas de temps. Réponds-moi sans ambages : crois-tu que ton père, s’il les a, versera les écus ?
    – Il n’est guère fortuné… Observe-le soigneusement : ce sera non ou peut-être. En ce cas, il te faudra l’adjurer de faire quelque chose… pour moi… Nous avons de riches voisins à Caudeval, Chalabre, Festes, Bouriège, Roquetaillade… Je vais demander de quoi écrire. Il se peut que ma requête le laisse froid en apparence. Tu sauras deviner ses pensées… Surtout, entre tiens-toi en tête à tête avec et ne sois pas étonné si tu le sens courroucé contre moi.
    –  Pourquoi ? demanda Oriabel.
    D’un sourire Tristan rejeta sa question. Quoique disposé à lui livrer sa vie, il lui semblait, en l’occurrence malvenu de s’épancher. Le mariage de Thoumelin de Castelreng et d’Aliénor avait brisé un respect filial qui jusque-là, n’avait jamais subi la plus mince fissure Avec une sorte de plaisir niais, tout de surface, car au fond de lui-même il souffrait, il s’était refusé à leur fournir de ses nouvelles, fut-ce en quelques ligne brèves confiées à un chevaucheur ou, plus récemment par Guillonnet de Salbris et Thomas d’Orgeville. E n effet, au début du printemps dernier, ces deux chevaliers avaient quitté Paris pour rejoindre le Bègue de Villaines en Langue d’Oc et l’assister dans sa chasse aux routiers. Invité à se joindre à eux par le dauphin Charles désireux, plus que son père, d’être instruit promptement sur les résultats de cette opération punitive, il avait excipé d’une entorse à la cheville – bien réelle et douloureuse – pour éviter ce voyage. Que cette renonciation l’eût déconsidéré dans l’estime d’un prince maladif, il en doutait encore ; en revanche, ce dont il était certain, c’était qu’elle avait réjoui Salbris et Orgeville.
    « Quel sot j’étais !… Je passais à Castelreng : Bonjour, Père. Bonjour, Aliénor ! Je mangeais un morceau et buvais un coup, puis, d’un galop, j’allais me mettre à la disposition du sénéchal de Carcassonne. »
    Maintenant, après un silence et une disparition de plus de six ans, pourquoi son père, qui l’avait sans doute honni d’un tel abandon, eût-il dû se montrer touché par sa male chance ?
    « Il refusera de m’aider, arguant que j’ai pensé à lui avec une opportunité malséante. Et il est vrai que je m ’offenserais à sa place… Quel surcroît d’indignation s’il apprenait que Tiercelet a parcouru toutes ces lieues moins pour mon sauvement que pour la délivrance

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