Les amants de Brignais
prisonnières ?
– Evidemment.
– Je les ai vues. J’ai vergogne pour toi et tes hardis compères.
Tristan s’était exprimé placidement, accoté, de l’épaule, au chambranle. Sa fureur avait pris une forme nouvelle : quelque chose de net la maîtrisait qui, sans doute, était de la résignation.
– Merdaille ! dit Bagerant tourné vers Oriabel. La fiancée a fait toilette ! Elle n’est point angoissée alors qu’elle le devrait.
Etait-ce une menace ? Une constatation simplette ?
Tristan sentit la main d’Oriabel se crocheter à sa cein ture. Il résista au désir de la regarder afin, toujours, de se défier du malandrin qui s’inclinait pour un hommage spécieux.
– La parure mise à part, voilà ta roturière prête à devenir ton épouse.
– N’atermoyons pas, Bagerant. Si ce mariage, pour moi, sera valable et le restera, il ne représente pour toi qu’un déduit (2) 25 . Mais nous nous en contenterons.
Tristan remit sa Floberge au fourreau. Ensuite, passant son bras autour de la taille d’Oriabel, il lui baisa la joue et sourit au routier en lui rendant sa révérence.
– Vous me saurez bon gré, ce soir, d’avoir mené les choses rondement.
Il fallait, maintenant, user de malignité.
– Je t’en sais bon gré, dit Tristan. Mais si tu as décidé d’une cérémonie pour ce jour d’hui, je dois te prévenir que je n’y suis pas disposé.
– Pourquoi ?
– Je n’épouserai pas une otage… Tu pourrais, dès demain, arguer qu’elle t’appartient… et me priver de sa présence ! Tu as tous les pouvoirs, tu peux disposer de tous les appuis… Je n’ai que Tiercelet. Son amitié m’est précieuse, mais tu saurais bien l’écarter d’une façon ou d’une autre s’il te gênait lui aussi.
Il était important qu’il feignît de négocier la liberté d’Oriabel. Et même, quelque évidente que fût pour lui l’impossibilité d’en acquitter la moindre parcelle, qu’il proposât de payer sa rançon. Dans le cours de la nuit, son dessein tout d’abord trouble, ennuyeux, avait pris forme et consistance.
– Moi qui croyais vous complaire en vous mariant ce mardi !
La déception de Bagerant se composait surtout de fureur et d’incertitude. Ses prunelles scintillaient, mais au-delà, dans leurs profondeurs noires, le mal couvait : aussi prévenant qu’il se fut montré envers ce couple qu’il pouvait dissocier d’un cri, et même anéantir, cette faillite inattendue lui inspirait un doute sur ses capacités d’autorité.
– Je te sais bon gré de l’attention dont tu nous entoures, Naudon. Il est vrai que nous te sommes chers… La rançon de ma fiancée…
Bagerant eut un geste comme s’il avait été tout près de l’oublier.
– N’êtes-vous pas bien aises, céans, que déjà vous songiez à nous vouloir quitter ?
Tristan retint sa respiration. Ses tempes battaient. Il fallait qu’il fût informé. À quoi bon atermoyer ?
– Combien ? dit-il tandis que Tiercelet reculait par discrétion ou indifférence.
Bagerant considéra Oriabel, tête basse et comme résignée à subir sa loi, sinon sa dérision. Elle n’était pour lui qu’une servante. Les circonstances avaient voulu qu’elle atteignît un coût excessif et il jouissait de l’avoir pour témoin d’une négociation qui la dépréciait en tant que femme tout en surhaussant sa valeur d’otage.
– Combien ? insista Tristan.
D’une démarche compassée, le routier s’avança vers l’un des seaux de chêne cerclé de fer que Tiercelet avait apportés.
– Deux ! gloussa-t-il. Tu te soignes, Oriabel… J’aime que chair de femme soit propre comme un lis. Tu les as vidés sur le sol et non sur la paille : c’est bien !
Il retourna le récipient de son pied, s’assit dessus et invita Tristan à l’imiter. « Ne l’offensons pas d’un refus », décida celui-ci tandis que Tiercelet, du crochet de l’index, priait Oriabel de le rejoindre, ce qu’elle refusa d’un sourire pincé.
– Sais-tu, Tristan, que chez Eustache tu pouvais avoir cette donzelle pour presque rien ?
– J’ai du contentement d’avoir fait ce que tu as vu.
– Petite satisfaction.
– Enorme !… Tu vois ces choses-là de l’abîme ou tu t’enfonces. Je les regarde les pieds au ras de cette terre que tu te plais à mouiller de sang innocent.
Bagerant jeta ses gantelets sur la paille. Il allongea ses jambes alourdies de fer et immobilisa son épée sur ses
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