Les amants de Brignais
d ’une manante !… Aliénor en serait encore plus courroucée ! »
Il en demeurait persuadé : la jeune baronne régnait sur son époux et sa mesnie avec une jalousie, une avarice et une sévérité ignorées des nobles dames.
– Franchement, avoua-t-il, je n’attends rien de non père. Même s’il disposait d’une fortune, il s’abstiendrait, je crois, de me venir en aide. Il se peut – j’insiste là-dessus, Tiercelet – qu’il me méprise… Tu sentiras cela.
– C’est une astuce, alors, que ce randon 59 ! Tu veux gagner du temps ?
– Le temps, peut-être, que l’armée royale vienne surquérir 60 Brignais.
– J’en doute. Tant que ceux d’Autun n’auront pas rejoint ceux de Lyon ; tant que Bourbon, Tancarville et les autres ne seront pas résolument unis pour attaquer les compagnies groupées sur cette montagnette et sur celles du voisinage… sans oublier les compères logés au château, tes rêves de délivrance seront vains…
– C’est bien parlé.
– Crois-tu, s’il y avait bataille – et bataille gagnée par les gens de Justice –, crois-tu qu’en te captivant ici, les chiens de la royauté ne te prendraient pas pour un chef de route ?
– Tu noircis tout !
– Non pas !… Le temps nous presse : dis-moi où je trouverai ton château et ton père.
Quand tu seras à Limoux, à cinq lieues au sud de Carcassonne, on te montrera le chemin.
– Prie afin que ton père débourse ta rançon !… Ci en fait, pour que mon plaidoyer l’intéresse, il faut que ce soit ta rançon ?
– Bien sûr… Sois un bon messager ! Enchante Aliénor !
– Qui est-ce ? demanda Oriabel.
– Celle qui a remplacé ma mère, morte de la peste noire… Abstiens-toi, Tiercelet, de parler d’Oriabel.
– Pourquoi ? fit la pucelle.
Voilà bien une chose qu’il ne pouvait, pour le moment, expliquer à la jouvencelle. Tiercelet vint à son secours :
– Tu comprends bien, ma belle, que le père de Tristan peut faire tout son possible pour sauver son fils : alors que ta mésaventure lui paraîtra sans intérêt. Mais j’ai tout dit… Je ferai au mieux… Vous autres refusez le sacrement d’Angilbert avant mon retour mariés, Bagerant serait capable de demander une rançon pour votre couple !… Toi, Oriabel, tu deviendrais une noble dame et, tel que je le connais, ce coquin serait capable d’augmenter ton prix sans que l’indignation de ton époux lui fasse de l’effet !
Tristan, sa fureur et ses remords évanouis, recouvrait sa sérénité – ou du moins s’appliquait à la reconquérir. Il se tourna vers Oriabel, ne sachant guère ce qu’il devait faire. La baiser sur la joue, la bouche, ou simplement la serrer contre lui ? Prévoyant une déception dont la jeune fille souffrirait plus que lui-même, il préféra l’en prévenir, tout en s’adressant à Tiercelet :
– Je suis certain que tu reviendras les mains vides… ou presque… et que nous serons, Oriabel et moi, dans la même merdaille que maintenant. Il te faudra trouver un prétexte pour éloigner Bagerant de Bri gnais… Prétends que tu as les écus mais que tu les as mis en lieu sûr afin que la libération d’Oriabel se fasse aisément, et qu’après avoir fait cent pas, elle ne retombe pas sous sa sujétion… Il refusera de t’accompagner seul avec elle et, craignant un piège, il emmènera deux ou trois hommes… Tu demanderas que je vienne aussi… Il y aura bataille, mais lors de celle-ci, Oriabel pourra s’enfuir…
La jouvencelle voulut protester. « Non ! Non ! » fit-il en appuyant d’un doigt sur sa bouche, tandis que Tiercelet approuvait :
– C’est bien pensé, compère… Sois-en sûre, fillette, on en réchappera !
Serrant doucement entre le pouce et l’index le menton de la pucelle, Tristan caressa du regard ces grands feux où l’angoisse paraissait se dissoudre sous le flux l’une espérance que lui-même trouvait incongrue. Mais quoi ! Le rêve seul pouvait adoucir leur mésaise.
– Nous n’avons rien d’autre à faire, m’amie, que de nous fier à la divine providence.
Parviendrait-il à la rassurer ? Etait-elle dupe de ce mensonge ? Elle se tourna vers Tiercelet. Si la confiance de l’homme aimé la bouleversait et vivifiait, la force et la quiétude du brèche-dent constituaient le second arc-boutant indispensable à la stabilité d’une santé peut-être à jamais ébranlée.
– Vous vous affranchirez tous deux ensemble
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