Les amants de Brignais
dans ma cervelle. Je me dis que vous et moi… ce mariage est impossible.
– Ce qui me paraît, à moi, impossible, c’est la male chance dont j’ai souffert avant de te rencontrer, murmura Tristan, sans trop d’amertume.
D’une main tendre – une main d’épouse –, Oriabel éloigna les cheveux collés sur son front. Il l’en remercia d’un baiser. À quoi bon des mots ! Il jouissait de lui caresser les flancs tandis que son regard se perdait dans celui de la jouvencelle quasiment assombri par les cernes d’une nuit difficile.
– Nous n’avons pas interdiction de nous aimer.
– C’est péché, sourit-elle, avant le mariage.
Il ne renouvellerait pas ses gestes du fenil. Il ne la chercherait pas par fragments dans ce vêtement grossier dont il dénouait la ceinture de chanvre. La pâleur argentée ruisselant des archères montait du dallage grenat, disjoint par endroits, jusqu’aux cheveux de la pucelle. Lâchant la corde, il se plut à pénétrer cette gerbe blonde tandis que le désir s’affermissait en lui, sans qu’il fût enclin à d’inutiles brusqueries, puisqu’il avait tout son temps. Elle le laissait faire et il s’accorda un répit en la baisant au front puis sur le bout du nez.
– On est bien, dit-elle, accrochée à ses hanches. Il me semble que c’est un miracle que nous puissions être en vie.
Ses petits doigts tremblaient. Elle avait clos ses paupières. Il la sentait aussi anxieuse qu’il l’était, mais pour une raison différente. Il s’évertuait à ne rien gâter de cette étreinte en germe ; Oriabel semblait craindre de le décevoir.
– Je te tiens captive de mon amour. Et je t’en préviens : tu ne pourras t’enfuir !
Il avait cru la conforter ; il jugea ces quelques mots médiocres, et même malséants.
– Pourquoi moi ?… Il y a tant d’autres femmes…
– Parce que tu es belle, hardie, et parce que c’est ainsi.
– Mais vous êtes noble ! s’écria-t-elle naïvement et ardemment à la fois.
Puis elle le contempla.
Il avait dû avoir cette expression béate et rassurée devant le saint Michel de Vézelay. Le regard d’Oriabel disait tout : l’adoration, certes, mais aussi la confiance, l’espérance, l’admiration. Elle apprenait de ses yeux maintenant plus téméraires, les contours de ce visage de « fiancé », et de ses mains le creusement de ses flancs au-dessus de sa ceinture d’armes. Elle apprenait de sa bouche tendue le goût de ces lèvres d’amant, toutes piquetées de barbe, à l’entour. Sa passion la brûlait, rosissant son front, ses joues, tandis qu’elle ne cessait de lever sur lui ces prunelles dont il avait été surpris d’emblée de concevoir précisément la noblesse.
– Quand nous serons hors de Brignais, je connais moult dames qui te jalouseront !
– Cette Aliénor ?
– La seconde épouse de mon père… aussi vrai que je suis Tristan.
Son regard pénétra dans le val du corsage. Une ombre soyeuse s’y blottissait entre les renflements clairs où pointaient les tétons. Ses paumes glissèrent sur ces fruits moelleux et s’en allèrent plus bas, après avoir effleuré les hanches, épousé d’autres contours plus opulents, fermes et délicieux.
Leurs ventres se touchèrent.
– Je t’aime, Oriabel.
Elle lui sourit d’une façon un peu douloureuse – ou incrédule – et se recula, le forçant à l’immobilité. Il vit ses sourcils se froncer, ses lèvres pincées s’incurver. D’un signe du menton, elle indiqua la porte.
Il essaya de percevoir un bruit suspect et n’entendit rien que leurs souffles.
– Il est derrière, chuchota-t-elle.
Elle avait raison : il y avait une présence. Quelqu’un se mouvait à pas légers. Un petit heurt témoigna qu’une arme ou une cubitière venait de toucher la muraille. Peut-être, un instant, une oreille s’était-elle appuyée sur l’ais sombre où luisait le faîte d’une ogive.
Lâchant Oriabel, Tristan fut à la porte. Il savait qu’il l’avait verrouillée sitôt après le départ de Bagerant. Alors, pourquoi vérifier ? Pourquoi avoir interrompu ces attouchements lents et doux lors desquels – miracle – il avait oublié tout ce qui n’était pas cette pucelle dont la fièvre d’amour magnifiait la sienne.
– Qui est-ce ? cria-t-il. C’est toi, Bagerant ?
Nul ne répondit, mais un pas furtif souleva une dalle. Il eut un geste du bras, par-dessus son épaule – « Qu’il aille au diable ! » – et
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