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Les Amants De Venise

Titel: Les Amants De Venise Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Zévaco
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serez
écouté en toute équité.
    – Vous n’êtes pas des juges, dit Gennaro.
    – Ceux qui nous condamnent le sont-ils davantage ?
    – Oui, car ils jugent au nom de nos lois.
    – Et nous jugeons au nom des nôtres. Vous jugez selon le
mensonge et l’iniquité, vous frappez le faible et le pauvre, vous
exaltez le riche et le puissant ; notre loi à nous, c’est la
vie, le droit de vivre pour tout homme, le droit d’être heureux
pour tout ce qui vit. Vous instituez des juges. De qui en
tenez-vous le mandat, sinon de vous-mêmes ? Ne soyez donc pas
surpris que nous ayons institué des juges émanés de
nous-mêmes. »
    Le chef de police écoutait avec stupéfaction ces paroles
prononcées avec une sorte de fermeté qui ne manquait pas de
grandeur.
    « Soit, dit-il, vous êtes des juges. En toute équité, vous
ne pouvez me condamner pour avoir rempli mon devoir.
    – Vous avez appelé votre devoir l’obligation de tuer vos
semblables, ou de les saisir et de les livrer au bourreau.
    – Non pas nos semblables, mais ceux qui attaquent l’ordre
social.
    – C’est-à-dire ceux qui vous attaquent vous-mêmes. Notre
devoir est donc de tuer qui nous attaque.
    – En ce cas, dit Gennaro, vous qui vous vantez d’avoir des
pensées de plus de justice que nous, vous êtes en tout point
semblables à nous-mêmes.
    – C’est vrai ; bien que nos buts soient différents,
nos moyens sont les mêmes. Ce sont les moyens de la guerre.
    – En ce cas, c’est en vain que j’entreprendrais une
défense. Je suis votre prisonnier après le combat, voilà tout.
Faites de moi ce qu’il vous plaira. Je ne dirai plus
rien. »
    Gennaro baissa la tête. Si près de mourir, le courage qui
l’avait jusque-là soutenu commençait à l’abandonner…
    À ces derniers mots, Roland répondit :
    « Voilà, monsieur, ce que je voulais vous faire dire à
vous-même, en vous laissant libre de présenter une défense. Vous
êtes notre prisonnier après combat et nous devons vous traiter
comme un ennemi acharné.
    – Tuez-moi donc, puisque vous en êtes le maître. »
    Le chef de police croisa les bras et attendit le coup fatal.
    Roland Candiano s’approcha de lui et lui mit une main sur
l’épaule.
    « Guido Gennaro, dit-il, au moment où vous allez mourir,
écoutez-moi. Mon père vivait au palais ducal dans le respect des
lois et de la liberté de tous. Son crime fut d’avoir pensé que le
dernier des mariniers était devant la justice et la loi égal au
plus hautain des patriciens. Par la traîtrise, félonie et
brigandage, mon père fut saisi et aveuglé ; ma mère mourut de
douleur, moi, je demeurai six ans dans les puits et ma vie fut
brisée. Guido Gennaro, ceux qui accomplirent ces forfaits
s’appellent Foscari, Bembo, Altieri. Ils sont tout-puissants. Vous
connaissiez leur crime. Vous saviez que leur puissance était
cimentée de larmes et de sang. Et pourtant vous les serviez
aveuglément !
    – Ô justice ! murmura sourdement Gennaro.
    – Pourquoi dites-vous que vous faisiez votre devoir en
venant m’arrêter ce soir dans l’île d’Olivolo ?… Vous saviez
que j’étais le justicier accomplissant une œuvre nécessaire ;
comme Jean de Médicis, comme tant d’autres, vous pouviez choisir
entre le crime et la justice. Vous avez servi le crime ! Jetez
bas le masque. Mettez votre âme à nu. Dépouillez votre pensée des
verbes sonores et mensongers dont vous voilez votre turpitude.
Devoir ! Loi ! Justice !… Et remplacez tout ce
fatras par un seul mot qui résume tout ce que vous avez de pensée
et de sentiment, vous et vos pareils : intérêt ! Intérêt
sordide, calcul ignoble, ambition forcenée ! Alors, vous aurez
dit la vérité.
    – Ô justice ! » répéta Gennaro.
    Et cette fois, comme sous la parole brûlante de Roland, une
révolution s’opérait dans son cœur, ses yeux s’emplirent de
larmes.
    « Guido Gennaro, reprit Roland, une seule larme rachète
bien des erreurs. Méditez sur tout ce que vous avez entendu et vu
dans cette nuit sous les voûtes de Saint-Marc. Allez, vous êtes
libre.
    – Libre !… »
    Ce fut une rauque exclamation qui s’échappa de la gorge
enflammée du chef de police.
    Il répéta :
    « Libre ! »
    Et il tomba à la renverse, évanoui.
    Lorsqu’il revint à lui, les personnages qui l’entouraient
avaient disparu ; la nuit profonde l’entourait.
    Affolé, bouleversé, il se leva et vit qu’il n’était plus

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