Les Amants De Venise
retrouvera à Venise, ou
aux gorges de la Piave, non loin du village de Nervesa.
« L’autre pour ma fille Léonore, épouse d’Altieri,
capitaine général de Venise.
« Et je signe… »
Suivait la signature près de laquelle Dandolo avait apposé son
sceau et qu’il accompagnait de son titre d’ancien grand inquisiteur
de la république.
L’Arétin jeta un regard d’inexprimable reproche sur le
cadavre.
« Pourquoi m’avoir donné cette joie ! »
murmura-t-il.
Et il reprit sa promenade, mais, cette fois, lente et les yeux
baissés.
« Voyons, réfléchit-il, je ne puis pas décemment me
considérer comme un voleur ; par conséquent la part des quatre
mille écus n’est pas pour moi… Je suis forcé d’avouer que je suis
dans la catégorie des poètes, c’est-à-dire à qui on ne fait pas
l’injure d’offrir des récompenses… »
Il ajouta amèrement :
« L’injure ! L’injure ! Je l’eusse acceptée, moi,
l’injure ! »
Et tout à coup, se frappant le front :
« Mais,
per Bacco !
Je puis bien me mettre
dans la catégorie des pauvres !… Pauvre, je le suis ! Qui
l’est plus que moi ?… Voyons… relisons… combien laisse-t-il à
celui qui serait pauvre ?… Deux mille ducats d’or, je
crois ?… Non… non, hélas ! c’est cinq cents ducats… Si
seulement c’étaient des doubles ducats !… Arétin, pauvre
Arétin, combien pauvre, il faudra te contenter de cinq cents
ducats… Un beau denier, certes ! À ce prix, je voudrais bien
tous les jours qu’il me pleuve des cadavres à la
maison ?… »
Un peu consolé, l’Arétin sortit de la chambre du mort, après
avoir soigneusement plié et caché dans son pourpoint les deux
papiers.
Alors, il regagna sa chambre, appela les Arétines à grands cris
et, tout geignant, se fit faire de la tisane, et comme Perina lui
demandait quel était son mal…
« Un grand mal, ma fille, répondit-il. J’ai failli devenir
riche !… »
Ayant bu sa tisane calmante, maître Arétin renvoya tout le
monde, non sans pousser force gémissements, et, une fois dans son
lit, il récapitula ce qu’il avait à faire.
D’abord prévenir la signora Altieri du malheur qui la
frappait.
Ensuite, s’occuper des funérailles de Dandolo, si toutefois le
capitaine général lui laissait ce soin. Puis se rendre à Milan et
en rapporter le fameux coffre en n’en distrayant, hélas ! que
cinq cents pauvres ducats – une petite fortune.
Et enfin, remettre à Roland la lettre dictée par Dandolo.
Il ne nous paraît pas inutile de corroborer d’un mot une
réflexion que le lecteur a dû faire certainement.
L’Arétin ne songea pas un instant à garder pour lui la fortune
entière de Dandolo. L’idée ne lui en vint même pas. Sans
discussion, il accepta de se conformer aux vœux du mort.
Cela est à la louange du poète tant honni et conspué.
La peur des morts, la croyance qu’ils venaient se venger des
vivants était pour beaucoup dans la probité de maître Arétin.
C’est ce qu’il exprima, au moment de s’endormir, en
murmurant :
« Diable ! Je lui obéirai de point en point… je n’ai
pas envie qu’il vienne me tirer par les pieds… »
Chapitre 25 L’ÉPOUSE
Le lendemain matin, de bonne heure, ayant fait une toilette de
demi-deuil et pris une figure de circonstance, l’Arétin se prépara
à accomplir la première partie de sa mission.
Il avait caché dans la doublure de son pourpoint les deux
papiers. Celui qui avait été écrit de la main de Dandolo et que
l’Arétin comptait remettre plus tard à Léonore… Celui qui avait été
dicté pour Candiano.
« Dois-je parler à la signora de ce que contient ce
papier ? se demandait l’Arétin. Évidemment, elle aurait
intérêt à le connaître. Mais qui sait quelles complications en
résulteraient dans l’intérieur de cette famille si troublée…
d’après la missive même de Dandolo ?… Et qui sait si toutes
ces haines et ces désespoirs que j’entrevois ne finiraient point
par former un nuage qui crèverait sur ma tête ?… De quoi me
suis-je chargé ? De remettre à Roland Candiano la lettre que
j’ai là dans mon pourpoint. Voilà tout… »
En descendant, il entra dans la chambre du mort comme pour bien
se convaincre qu’il n’avait pas rêvé, que les étranges événements
de la nuit s’étaient bien déroulés chez lui. Dandolo était dans la
même position, sa main toujours crispée sur le poignard.
L’Arétin donna
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