Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen

Les Amants De Venise

Titel: Les Amants De Venise Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Zévaco
Vom Netzwerk:
sur une sorte de banquette pratiquée sur les flancs du
roc.
    Hagard, chancelant, les cheveux hérissés, Bembo regardait
ardemment dans l’intérieur de la cellule devenue une tombe, et
faisait d’inutiles efforts pour détacher ses yeux du cercueil de la
victime.
    Alors, la voix solennelle de Roland s’éleva de nouveau et
prononça ces étranges paroles :
    « Bembo, maintenant que vous êtes mort, recevez mon pardon
et celui du père de Bianca. Reposez en paix !…
    – Maintenant que je suis mort ! bégaya Bembo en
claquant des dents. Oh ! Qu’est-ce à dire !… Non… Je sens
ma raison qui m’abandonne !… Mort !… Moi mort !… qui
a dit cela ?… Non !… Laissez-moi !… Enfer !… Où
m’entraînent-ils !… »
    Le reste se perdit dans un rugissement d’épouvante.
    Et voici ce qui se passait :
    À peine Roland eut-il fini de parler que les hommes qui
maintenaient Bembo l’avaient poussé dans la cellule, dans la tombe
de Bianca,
et aussitôt les ouvriers commencèrent à maçonner
l’ouverture qui servait d’entrée.
    Bembo, écumant, épouvantable à voir, faisait des bonds
désordonnés dans le tombeau. Des gens de Nervesa assurèrent plus
tard qu’ils avaient entendu avec horreur des clameurs insensées qui
tombaient de la montagne. C’étaient les cris de Bembo.
    Le travail de la fermeture au moyen de blocs cimentés dura une
heure. Lorsque le mur fut à hauteur d’homme et qu’il n’y eut plus
que quelques pierres à placer, un éclat de rire effroyable fit
pâlir les cent hommes qui assistaient à cette exécution…
    Bembo était devenu fou !
    *
    * *
    Avant de placer la dernière pierre, l’un des ouvriers qui
travaillaient à cette macabre besogne eut l’idée de jeter un coup
d’œil dans l’intérieur de la tombe, et il vit le cardinal étendu
sans vie en travers du cercueil de Bianca.
    *
    * *
    Lorsque l’ouverture eut été entièrement fermée, des blocs de
rochers furent entassés là, les uns sur les autres.
    Dans les interstices, on jeta de la terre végétale. Dans cette
terre, on planta des pousses de lentisques et autres arbustes
sauvages.
    Ces pousses prirent pied… En sorte qu’au bout de quelques jours,
nul au monde n’eût pu supposer que cet entassement de rochers
cachait la tombe de Bianca, fille de la courtisane Imperia, et de
Bembo, cardinal-évêque de Venise.
    *
    * *
    Après l’exécution, Roland laissa à la Grotte-Noire un poste de
vingt hommes chargés de surveiller la tombe pendant un mois.
    Puis, accompagné de Scalabrino, il descendit la montagne, monta
à cheval, gagna Mestre, puis les bords de la lagune, et le soir,
vers dix heures, il arrivait à la maison de l’île d’Olivolo. Le
premier soin de Roland fut de s’assurer que rien de fâcheux n’était
arrivé à son père pendant son absence.
    Le vieux doge dormait comme un enfant, selon l’heureux privilège
de quelques cas de folie. Roland le contempla quelques minutes avec
cette émotion spéciale de l’homme qui vient d’être mêlé à quelque
tragédie et qui éprouve une joie rassurante à retrouver des êtres
qui lui sont chers.
    Ce n’est pas que Roland Candiano ressentît une inquiétude, un
remords de l’épouvantable supplice qu’il avait infligé, à Bembo.
Mais il était ému de cette sourde trépidation cérébrale qui suit
les actions anormales.
    Saisir un homme et le murer vivant dans un tombeau, avec le
cercueil de sa victime, cet homme eût-il été un abominable
criminel, pourra paraître à quelques personnes un acte d’excessive
justice. Sans vouloir prendre parti, et tout en nous cantonnant
dans notre modeste rôle de conteur, il nous est difficile de ne pas
faire observer que les morales se modifient avec les siècles.
    L’époque violente et grandiose dont nous avons entrepris en
divers ouvrages de tracer une esquisse, comportait tout
naturellement de ces excès. L’Italie d’alors, champ de bataille
sanglant, éclairée par les lueurs des incendies, ravagée par les
bandes de partisans et les armées, hérissée de poignards, rouge de
sang, sillonnée d’espions et de reîtres, l’Italie en pleine
fournaise de luttes géantes, de débauches fastueuses, étonnait le
monde par ses excès. Le crime s’appelait Borgia ; mais l’art,
plus excessif encore que le crime, portait ce nom formidable :
Michel-Ange ! C’était un pandémonium, où rugissaient les
conquérants, où les vaincus poussaient des cris de détresse qui

Weitere Kostenlose Bücher