Les Amazones de la République
« Je regrette de ne pas vous avoir prise comme conseillère politique depuis le début de ma vie, parce que le cours de lâhistoire en eût été sans aucun doute changé ! »
Latche, ce calvaire. Cette même journaliste, au caractère bien trempé, vécut, quelques mois plus tard, ce qui reste, à ses yeux, lâun des épisodes les plus humiliants de toute sa carrière. Une fois de plus, François Mitterrand semblait agacé par la tonalité des questions de celle qui lui tirait des feux dâartifice. De mémoire de courtisan, on nâavait jamais vu pareille impertinence. François Mitterrand, dont lâÅil glissait de gauche à droite le long de la table, se figea de nouveau et imposa de la main le silence. Au loin, des cris⦠Tendant lâoreille vers le champ voisin, il avait entendu braire ses deux ânes, Marron et Noisette. Et câest devant une tablée, moitié stupéfaite, moitié goguenarde, quâil lança à sa voisine : « Mademoiselle Saint-Cricq, mes ânes vous appellent ! » Avant dâajouter quelques propos graveleux, où il était question de bestiaux en rut qui réclamaient, au loin et séance tenante, une main charitableâ¦
Quâavait donc fait Nathalie Saint-Cricq pour mériter pareil traitement ? Payait-elle sa franchise de ton ? Ou, plus encore, sa résistance aux assauts dâun collectionneur peu habitué à ce quâon lui résiste ? François Mitterrand, qui avait pour habitude de sceller à lui toutes celles qui lâapprochaient avec le ciment de quelques propos et citations, avait face à lui une nature récalcitrante : ses doigts ne sâenfonceraient pas dans ce marbre. Et ça lâagaçait. On lâappelait pour quâelle rejoigne le lit du monarque et madame sâaccrochait à des questions de basse politique dont il nâavait que faire.
Avec toute la cruauté dont il était capable, il décida donc de lâenvoyer au diable. Lâestocade viendra un jour de 1989 à Solutré, lors dâun autre déjeuner en compagnie, là encore, de quelques signatures de la presse parisienne, qui accompagnaient lâancien président dans sa traditionnelle ascension. Sâadressant, non sans une certaine muflerie, à celle que France 2 avait une nouvelle fois dépêchée sur place, François Mitterrand lâcha : « Est-ce que vous pensez quâune journaliste doit être belle ou intelligente ? Et vous, chère Nathalie, dans quelle catégorie vous classez-vous ? » Si le ton était badin, le trait se voulut en revanche et une nouvelle fois terriblement blessantâ¦
Pourquoi ces piques à foison ? Ãtait-ce de la colère ? Mais provoquée par quoi ? Par de lâirritation ? Par cette volonté, devenue chez lui une seconde nature, de plaire à tout prix ? Le déjeuner qui suivit ressembla à la matinée : ayant gravi ce qui avait pris pour certains des participants lâallure dâun Golgotha, le monarque récompensa ses ouailles en les conviant tous à déjeuner. Et chacun parmi les journalistes invités put observer autour de la table, un brin mal à lâaise, le vieil homme à la chemise à carreaux prendre les assiettes de pâté en croûte, disposées tout autour de la table, pour les donner à son chien, Baltique. Après quâon lâeut entendu dire, sans lâonce dâune gêne : « Cela ne vous dérange pas, jâespère ? »
« Mais pas du tout, monsieur le président ! », sâempressèrent de piauler certains, chez qui montait un rire impie, tandis que François Mitterrand les observait du coin de lâÅil. Jusquâoù ces journalistes étaient-ils prêts à aller pour sâhumilier, semblait dire celui dans le regard duquel on pouvait lire : « Je vous respecte si vous êtes respectable » ?
Câest un pays où lâon nâentend pas les hommes marcher, parce que le sable, allié du vent depuis des siècles, y a chassé lâasphalte. Câest une région où seuls les hommes girafe peuvent embrasser lâhorizon, en raison des dunes qui hachent le paysage. Et câest derrière lâune dâentre elles, à quelques pas de
Weitere Kostenlose Bücher