Les Amazones de la République
fut évité, la rumeur se répandit comme une traînée de poudre dans les rédactions. Et câest lâhebdomadaire dâextrême droite, Minute , qui enchrista la journaliste : la publication en couverture, le surlendemain, de sa photo pleine page, accompagnée de ce titre : « Câest lâamie suédoise de Mitterrand », eut lâeffet dâun faire-part de rupture : irrité par ce tohu-bohu, François Mitterrand donna, en effet, pour consigne à son secrétariat de ne plus lui passer désormais au téléphone celle quâil abandonna, sine die .
3 . François , Ãd. du Seuil, 1997.
Chapitre 12
Nathalie et les ânes de Mitterrand
Qui nâa franchi le cap Horn de Latche et affronté sa houle est en politique un marin dâeau douce ! Car ce refuge familial de la mitterrandie, dont lâancien président fit sa garçonnière, fut aussi le cauchemar de quelques journalistes. « Pour qui me prennent-ils ? » Au tout début de son second septennat, François Mitterrand sâagaçait quâon lui dépêche des jeunes pousses du métier, moins capés que ceux quâil avait lâhabitude de fréquenter de longue date. Comme si, sur le déclin, lâhomme intéressait moins des patrons de rédactions estimant avoir fait le tour dâun personnage dont ils avaient décodé et débusqué les gris-gris.
Longtemps subjuguées par celui qui transformait le grain en bon pain, sous la croûte blanche de ses dissertations, les quelques figures de la profession, qui lâavaient que trop fréquenté, lui envoyaient ainsi de jeunes et sémillants reporters en jupons, que François Mitterrand ne pouvait sâempêcher de tisonner, leur dispensant des cours de science politique, quâil ponctuait de sentences incandescentes.
Ainsi de Nathalie Saint-Cricq. Cette ravissante journaliste politique, fraîche émoulue de France 2, avait dû franchir quelques cases sur le jeu de lâoie mitterrandien avant dâêtre admise à cette fameuse table. Vézelay figura parmi ces étapes initiatrices. Lâayant un jour installée à côté de lui lors dâun déjeuner organisé pour la presse, François Mitterrand, qui sâefforçait de la séduire, dâun pas flâneur mais décidé, picora dâabord avec désinvolture dans son assiette : sa façon à lui de nouer le dialogue.
La taquinant ensuite, il lâobligea à manger des escargots, ce quâelle abhorrait. Lâhomme, qui avait parfois des somnolences dâattention â sans que lâon sache si elles étaient feintes ou non â, sortit ce jour-là dâun long silence et lança à la cantonade, tout en se tournant brusquement vers sa voisine : « Ah, tiens ! Nous allons demander à M me  Saint-Cricq de nous remémorer lâaffaire du trafic de piastres ! », du nom dâun célèbre scandale financier et politique de la IV e  République oublié de tous !
Convaincu que la pauvrette, dont il dévorait le profil, tournerait indéfiniment autour de la question, comme un chiot tourne en rond autour de sa queue dans lâespoir de lâattraper, François Mitterrand semblait prendre un malin plaisir à déstabiliser celle sur laquelle il avait le sentiment de nâavoir décidément aucune prise.
Pas la moindre faille, en effet, pas un chas dâépingle, dans le rempart ! La jeune Saint-Cricq lui paraissait une citadelle imprenable. Et Mitterrand, que lâattitude et lâeffronterie de la journaliste insupportaient, ne manquait pas une occasion pour la harceler. Câest ainsi que, conviée à le rejoindre, un autre jour, pour déjeuner à Latche, en compagnie de quelques autres journalistes et dâun aréopage de mitterrandolâtres, il lui planta cette fois-ci et au beau milieu du repas, une banderille dont elle se souvient encore.
Tout avait démarré par une simple conversation portant sur lâouverture politique au centre, que certains à gauche jugeaient insuffisante. Et Nathalie Saint-Cricq le tisonnait. Diable ! La question, qui nâavait rien de baroque, vit pourtant Mitterrand poser sa fourchette et se tourner lentement vers celle devenue brindille. Et il lâcha, dâun air hautain :
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