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Les amours blessées

Les amours blessées

Titel: Les amours blessées Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jeanne Bourin
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femme. On a même prétendu que le roi avait songé à l’épouser après avoir imaginé je ne sais quelle procédure de divorce. La disparition prématurée de madame de Condé, partie en la fleur de son âge, évita sans doute au royaume un nouveau scandale…
     
    Ainsi en ta première et jeune nouveauté,
    Quand la terre et le ciel honoraient ta beauté,
    La Parque t’a tuée et cendre tu reposes…
     
    Ces vers admirables, ces vers poignants, s’adressaient en réalité à une tout autre créature qu’à la petite fille qui servait là de prête-nom. Pierre avait besoin d’argent et il fallait plaire au nouveau souverain. C’est à la demande de celui qui venait en effet de se voir sacré Roi de France que Ronsard chanta la princesse défunte en composant une suite volontairement ambiguë sur la Mort de Marie. Il se trouve, d’ailleurs, que la fraîche Angevine s’en alla, elle aussi, plus tôt qu’il n’était naturel. L’amalgame n’en fut que plus aisé. Ce qui permit à Pierre de cultiver une équivoque qui n’était pas pour lui déplaire… Avant de rejoindre le pays des ombres, Marie de Bourgueil avait, il est vrai, trouvé le moyen de délaisser et de tromper Ronsard qui s’en montra fort chagrin dans ses poèmes…
    Décidément, Pierre n’aura pas eu de chance avec les femmes. Parce qu’il avait trahi notre amour, bafoué la confiance que je mettais en lui, failli à la discrétion nécessaire aux amants, je l’ai tenu des années à l’écart de ma vie, Marie de Bourgueil s’est montrée infidèle après lui avoir fait attendre en vain ses faveurs, et Marie de Cabrianne s’est amusée à ses dépens.
    Elle avait coutume, je l’ai su par la suite, de se jouer des hommes comme de marionnettes ! Spirituelle, volage, pleine d’un esprit vif et mordant, fantasque, égoïste, un rien perverse, elle appartenait au groupe de ces jeunes femmes que Catherine de Médicis n’a cessé de grouper autour d’elle. De nos jours, on les nomme l’escadron volant de la Reine ! Elles lui servent à tenir sous sa coupe ses ennemis les plus redoutables, à espionner son entourage, à connaître les secrets des gentilshommes de la Cour, dont beaucoup conspirent. Sous leur aspect ravissant, provocant, élégant et léger, ces demoiselles sont en fait les yeux et les oreilles de la souveraine. Rien ne leur échappe. Ce sont là les plus dangereux des enquêteurs, les plus adroits diplomates qu’on puisse rêver ! On s’oublie entre leurs bras et on leur confie des secrets d’État sur l’oreiller !
    Ronsard, pour sa part, n’a pas dû accepter de livrer d’aveux vraiment compromettants à Marie de Cabrianne car son ascension triomphale ne fut en rien troublée par les péripéties de leur liaison. Après la disparition du vieux Mellin de Saint-Gelais, qui l’avait si violemment attaqué jadis avant de se résoudre à le louer, Pierre s’est vu nommé conseiller et aumônier ordinaire du Roi. Cette nouvelle dignité fut pour lui la récompense des longues années de labeur, des sollicitations incessantes auxquelles il lui avait fallu plier son orgueil, des intrigues qu’il avait été contraint de mener pour suivre le train de la Cour et faire comme ceux qui s’y trouvaient.
    Durant tout ce temps où il se soumettait bon gré mal gré aux façons courtisanes et contait fleurette aux belles du moment, sa pensée continuait à me demeurer proche. En le lisant, j’étais frappée par la constance des appels qu’il m’adressait, par l’incessant retour de mon nom parmi ceux des autres égéries, par la merveilleuse continuité avec laquelle ma présence passait d’ouvrage en ouvrage. Je constatais là une permanence qui me bouleversait.
     
    Or j’aime bien, je le confesse,
    Et plus j’irai vers la vieillesse
    Et plus constant j’aimerai mieux :
    Je n’oublierai, fussai-je en cendre,
    La douce amour de ma Cassandre,
    Qui loge mon cœur dans ses yeux.
     
    Pouvais-je, au détour d’un feuillet, lire une telle déclaration sans en être remuée jusqu’à l’âme ?
    En découvrant tant de poèmes comme celui-ci mêlés à ceux qu’il adressait à l’amante du moment, je me sentais divisée contre moi-même, partagée entre mon émotion et une silencieuse rancœur. Ces deux sentiments discordants m’ont longtemps tourmentée…
    Pour me consoler, je me disais qu’il n’y avait sans doute de par le monde que peu d’hommes capables d’aimer une même femme par-delà une rupture

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