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Les amours blessées

Les amours blessées

Titel: Les amours blessées Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jeanne Bourin
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présidait avec une invariable régularité à nos rencontres amoureuses, quand nous nous sommes réconciliés, j’étais toujours une belle femme et l’avenir tenait encore pour nous sa porte entrebâillée…

3
    Sans vivre auprès de vous. Maîtresse, et sans vous voir,
    Le Ciel me semblerait un grand désert sauvage…
    Ronsard.
     
    Pierre avait près de quarante-deux ans quand je l’ai revu à Montoire. Sa santé n’était pas bonne. De nombreux accès de fièvre quarte et les douleurs dans les os qui l’ont tant fait souffrir par la suite avaient marqué ses traits. Ce n’était plus l’impétueux écuyer à l’esprit bouillonnant de projets grandioses que j’avais connu à Blois.
    Déjà grison, comme il le disait lui-même, il avait maigri. Sur son visage d’homme habitué aux chevauchées et aimant séjourner aux champs, des rides plus claires que la peau traçaient des sillons étoilés.
    Sa renommée ainsi que le prestige qu’il devait à la bienveillance de la famille royale, étaient assez considérables pour entraîner par ailleurs une subtile transformation de son comportement. Il me parut moins gai mais plus serein, moins provocant, parce qu’apaisé par la certitude d’une gloire que personne ne lui disputait plus. Son passé garantissant son avenir, du moins dans la mesure où le goût de la Cour et celui du public lui resteraient fidèles, il pouvait se contenter de gérer son présent.
    Je jugeai de nouveau qu’en dépit de ses tempes grises la quarantaine lui seyait. En me faisant cette remarque, je compris que le moment était venu de lui faire savoir que je lui avais pardonné. Ce ne serait pas chose aisée. Jean continuait à assumer un rôle de geôlier conjugal qui devait compenser à ses yeux l’humiliation de ne plus être que mon chaperon. Nos rapports demeuraient de pure forme. Nous savions l’un et l’autre qu’il en serait désormais ainsi jusqu’à notre dernier souffle.
    Je ne m’occupais que de ma fille. Elle était mon horizon. Son enfance m’avait tout appris de la tendresse humaine. Je l’en voyais sortir avec mélancolie. Elle venait d’avoir treize ans. Je savais cependant que l’affection qui nous liait était si forte que les difficultés de l’adolescence n’y changeraient rien. Si je dois quelque reconnaissance à mon mari, c’est bien de nous avoir poussées, Cassandrette et moi, à former un front uni contre son despotisme et la sécheresse de son cœur. Cette complicité fut ma meilleure aide. Elle coula entre nous deux un mortier à l’épreuve de tous les ébranlements, de toutes les secousses.
    J’éprouvais à l’égard de mon enfant une fierté maternelle qui recelait pour moi des douceurs secrètes.
    Jolie sans fadeur en dépit d’une blondeur qui était naturelle chez elle, gaie sans vulgarité, douce bien que de caractère très ferme, tendre et fine, elle continuait à ressembler en plus accompli à celle que j’avais été jadis. Mais son esprit se révélait plus délié que le mien, son jugement moins timide, ses talents plus divers. Musicienne experte, elle jouait de plusieurs instruments, peignait avec talent, écrivait des contes où se déployait une étourdissante ingéniosité. Ses défauts eux-mêmes me paraissaient excusables. Si elle se montrait susceptible, c’était que sa vive sensibilité décuplait le besoin qu’elle ressentait d’être aimée ; si elle était capable de colères, rares mais violentes, c’était uniquement quand on l’avait poussée à bout. Une confiance absolue régnait entre nous qui ne nous étions jamais quittées. Nous connaissions nos goûts, nos qualités, nos travers, nous riions des mêmes choses et nous nous comprenions à demi-mot.
    Pour aborder Pierre avec le plus de naturel possible, je décidai donc de prendre prétexte de la présentation de ma fille au nouveau duc de Vendôme, le prince Henri de Navarre, dont le séjour dans notre région suscitait effervescence et controverses. Sa mère, Jeanne d’Albret, et lui, avaient en effet décidé de passer quelque temps dans leurs terres vendômoises après le voyage politique que ce prince s’était vu obligé de faire à travers la France à la suite de la famille royale qui avait souhaité sa présence durant le périple accompli dans les provinces.
    Le jeune duc et sa mère s’étaient installés à Montoire, ville convertie à la Réforme, plutôt qu’à Vendôme que les troubles des années précédentes n’avaient pas

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