Les amours blessées
ravi.
Je remarquai que ses lèvres tremblaient.
— En dépit de votre blondeur, vous ressemblez tant à votre mère, reprit-il comme malgré lui, qu’à vous voir devant moi vous et elle, ensemble, j’éprouve l’impression singulière de m’adresser à une personne unique, à deux âges de sa vie !
— Vous n’êtes pas le seul à être surpris par notre ressemblance, assura ma fille. Pour tout arranger, je m’appelle Cassandre moi aussi !
Elle riait, la chère innocente, et s’amusait de voir un illustre poète pris au dépourvu comme le premier venu par une similitude qui en avait étonné plus d’un.
— Je viens d’arriver à Montoire, me précisa Pierre. Je résidais dans mon prieuré de Croixval lorsque j’ai été informé de l’arrivée ici de notre jeune duc. Je me devais d’accourir pour le saluer. Son noble père était de mes amis.
— Je sais, dis-je, je sais. Marie m’a souvent parlé de vos réunions à la Bonaventure…
À peine avais-je parlé que je m’empourprai. Ne laissais-je pas entendre à Ronsard que je n’avais cessé de me soucier de lui, de ses faits et gestes, depuis la rupture que je lui avais imposée ?
Mais il ne le prit pas ainsi.
— Il fallait bien que je tente d’oublier, soupira-t-il en détournant les yeux.
Deux jeunes femmes rieuses, fort jolies dans de larges robes de soie, l’une cramoisie, l’autre mordorée, se dirigeaient vers notre trio. Leur intention de s’entretenir un moment avec le grand homme de la soirée était évidente.
— Je résiderai quelque temps à Vendôme, lança Pierre avec précipitation. Accepteriez-vous de venir m’y rendre visite ?
— Pourquoi pas ? dis-je à l’étourdi. Du moins, je tâcherai, ajoutai-je en retrouvant ma prudence.
— Je vous attendrai, Cassandre !
Sur un dernier échange de regards, je m’éloignai en entraînant ma fille sur mes pas.
Ma confusion était immense. Je ne m’étais pas comportée comme je me l’étais promis. Je m’étais laissé déborder par un bouleversement beaucoup plus intense que je ne l’avais imaginé.
— Pour un poète aussi fameux, je le trouve tout à fait simple, remarqua Cassandrette comme nous nous fondions dans la foule bruissante. Si vous le connaissez si bien, ma mère, pourquoi ne jamais l’avoir reçu à Pray ou à Courtiras ?
— Parce que nous avons longtemps été fâchés avec lui pour des histoires qui ont précédé votre naissance, répondis-je. Des histoires dont il est préférable de ne pas encore parler chez nous, ma fille. Sachez que depuis lors, Pierre de Ronsard est assez mal vu dans notre famille. Nous ne pouvions pas le recevoir.
Cassandrette allait sans doute continuer à m’interroger avec cette implacable logique des enfants, parfois si embarrassante pour leurs proches, quand elle aperçut une de ses amies qui arrivait avec ses parents. Il fallut sans plus attendre aller vers les nouveaux venus, ce qui me dispensa d’avoir à répondre plus longuement.
Une fois rentrée à Courtiras où nous résidions quand les événements nous le permettaient, je tentai de retrouver mon calme.
À trente-six ans, je devais pouvoir faire preuve de maîtrise et ne plus me montrer émotive comme une donzelle. Si j’étais heureuse d’avoir pu laisser entendre à Pierre que je lui avais pardonné, il ne pouvait cependant être question pour moi d’envisager une nouvelle intrigue amoureuse avec lui. Les sentiments que je lui vouais maintenant étaient nourris d’absence et de renoncement. Ils avaient survécu à douze années de séparation, de scandales, puis d’isolement, d’infidélités de sa part, mais aussi de découvertes maternelles pour moi, de maturation pour nous deux. Je savais à présent qu’un amour durable mais silencieux comme celui-là, vainqueur d’épreuves aussi diverses, était capable d’occuper mon cœur jusqu’à la fin de ma vie. La nécessité de sauvegarder la jeunesse de ma fille et son avenir, ma propre sécurité, la célébrité de Ronsard nous imposaient par ailleurs la sagesse.
Il me semblait que Pierre pourrait comprendre et admettre un tel raisonnement. Pour cela, il ne fallait pas le laisser s’enflammer de nouveau. Il ne convenait pas d’apporter à son imagination si vive des aliments capables de l’exciter. Je devais lui parler, lui exposer mes arguments, me faire clairement entendre de cet homme auquel je promettrais un amour sans faille mais aussi sans œuvres…
Pour
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