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Les amours blessées

Les amours blessées

Titel: Les amours blessées Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jeanne Bourin
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notre amitié était parvenue à ignorer fraudes, dissimulations, omissions.
    — Oh ! Je ne sais plus où j’en suis ! avouai-je en me prenant la tête entre les mains. Non, vraiment, je ne comprends plus rien à ce qui m’arrive !
    — Vous savez tout de même bien si vous l’aimez !
    — Justement non ! Parfois je le crois, parfois j’en doute. Ce n’est pas si simple, voyez-vous… Et puis, il me harcèle. Tout à l’heure encore…
    — Vous ne m’apprenez rien. Cela sautait aux yeux…
    Catherine n’avait pas été la seule à s’en apercevoir.
    Ma mère me fit appeler dès que Gabrielle s’en fut allée. Elle me témoigna plus que du mécontentement. Une sorte d’anxiété assourdissait sa voix si calme d’ordinaire, si claire. Son expression me fit presque peur. Elle me blâma pour mon manque de tenue, pour mon incurie, pour mon impertinence avec nos hôtes et m’envoya en fin de journée me confesser au chapelain avec lequel elle s’était, au préalable, longuement entretenue.
    Sa sévérité ne me surprit pas, mais derrière un comportement qui lui était habituel, je décelai je ne sais quel tourment maternel qui dépassait de beaucoup mes manquements aux usages.
    Notre chapelain, Dom Honorat, me posa des questions plus précises qu’à l’accoutumée… Je fus bien obligée de lui répondre. Aussi fut-ce avec les yeux rouges et la tête enfiévrée que j’assistai, sans desserrer les dents, au souper familial.
    Dès le repas terminé, ma mère et mon père se retirèrent dans le cabinet de travail de ce dernier pour un mystérieux conciliabule dont les enfants étaient exclus.
    Réfugiée dans ma chambre, blottie entre les rideaux tirés de mon lit, je mêlais des bribes de prières à des évocations bien plus profanes, dont le souvenir me tint longtemps éveillée.
    Pour la première fois de ma vie, je m’étais trouvée confrontée au cours de la journée aux manifestations d’une ardeur qui me troublait et m’effrayait. Si une timide réponse à cet appel des sens s’était fait jour en moi, il n’en demeurait pas moins vrai que ma nature, plus sentimentale que sensuelle, n’éprouvait que faiblement les tentations de ce genre. Mon éducation, par ailleurs, m’interdisait d’envisager une infraction même minime à un code moral que ma mère m’avait si parfaitement inculqué qu’il participait à présent à mon être le plus intime. En cherchant à me faire transgresser ce code, Ronsard m’inquiétait tout en me séduisant.
    La première émotion passée, je retrouvai mon sang-froid. Les réprimandes de mon confesseur, les reproches de ma mère, le respect des conventions sociales, ma propre prudence, se conjuguaient pour m’amener à considérer l’attitude de Pierre comme peu conforme à celle dont j’avais rêvé. Un gentilhomme digne de ce nom ne se comporte pas avec une vierge comme avec une ribaude. Il m’avait manqué d’égards en cherchant à m’entraîner sur des chemins détournés où j’aurais perdu l’honneur.
    … Vois-tu, Guillemine, j’ai décidé d’être entièrement sincère dans cette sorte d’examen de conscience auquel je me soumets en ce moment. Je tiens à éclairer sans restrictions, sans hypocrisie, les coins et les recoins de mon cœur. Pour rester honnête avec moi-même, je me vois bien forcée de reconnaître, là où j’en suis arrivée, qu’il n’y a jamais eu entre Pierre et moi d’équivalence de nature. La mutilation commune à nos deux existences est venue de cette différence essentielle de nos tempéraments. Par manque d’ardeur, par respect humain aussi, je me suis toujours tenue à la frontière de l’amitié et de la passion. S’il m’est arrivé, durant quelque temps, de la franchir, ce ne fut jamais pour longtemps. Bien vite, j’ai regagné les contrées rassurantes des sentiments permis… Je n’ai pas trouvé en moi le courage de séjourner dans le domaine embrasé où Pierre se mouvait à l’aise. Le feu amoureux était son élément. Il brûlait comme une torche… Il n’y a rien d’étonnant à ce qu’il ait choisi l’emblème des ronces ardentes de préférence à tout autre pour symboliser sa lignée. Il ne pouvait vivre qu’en se consumant. Son génie et son corps participaient ensemble de cet embrasement. L’odorat, le toucher, le goût, la vue, se rejoignaient chez lui en un hymne à ce panthéisme triomphant qu’il n’a pas cessé de chanter à travers toute son œuvre. Ronsard

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