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Les amours blessées

Les amours blessées

Titel: Les amours blessées Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jeanne Bourin
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était un païen christianisé qui se souvenait de sa première patrie. Il était fait pour vivre dans l’univers égoïste et voluptueux d’Anacréon et d’Horace… L’ascèse que prône l’Église catholique comme une des conditions essentielles du dépassement de soi et de la marche vers la lumière spirituelle, ce frein apporté à nos appétits les plus élémentaires afin de les épurer, lui était étranger. Bien des fois, plus tard, j’ai surpris cet homme qui se voulait bon chrétien, qui s’est même battu pour le demeurer, en contradiction flagrante avec notre doctrine.
    La nuit dont je te parle, ces pensées n’étaient pas encore bien claires en moi. Cependant, la confusion même qui régnait dans mon esprit me préparait à les y accueillir un jour…
    Le lendemain matin, quand Pierre se présenta, selon son habitude, pour me saluer, il se heurta à un visage fermé, clos sur ses réflexions nocturnes.
    — Il n’a été question, hier soir, à la table des Cintré, que des merveilles de votre roseraie, dit-il pour engager une conversation qui s’annonçait difficile.
    Du ton poli que j’aurais eu pour le premier visiteur venu, je lui proposai de l’y conduire.
    Je nous revois, marchant côte à côte, suivis par Nourrice, pendant que nous nous dirigions vers le jardin des roses. Une gêne inhabituelle, aggravée par la présence de Marcelline, fraîchement chapitrée à mon endroit, pesait sur nous.
    — Qu’avez-vous, Cassandre ? Vous semblez à mille lieues d’ici.
    — J’aimerais y être…
    — Pourquoi donc ? N’êtes-vous pas bien près de moi ?
    — C’est trop dangereux !
    Je fis la moue pour répondre à son étonnement.
    — Ma mère m’a forcée à aller me confesser à notre chapelain qui est fort exigeant…
    — Vous a-t-il malmenée, mon cœur ?
    — Un peu…
    — Que lui avez-vous dit ?
    Je haussai les épaules.
    — Tout ! Que vouliez-vous que je fasse ?
    Nous avions forcé le pas. Derrière nous, Nourrice se hâtait.
    Sans plus rien dire, nous sommes entrés dans la roseraie.
    Je remâchais les mises en garde de mon confesseur et les conclusions de mon insomnie. L’éclat et l’harmonie de ce coin de nature aménagé pour la plus grande gloire des roses et de mon père ne parvenaient pas à m’en distraire.
    Ce matin-là, je portais une robe de soie aux plis cassants dont le corps baleiné, chichement échancré, laissait juste dépasser le col brodé de ma chemise. J’avais tenu à ce que ma mise traduisît la réserve dont je devais faire preuve dorénavant vis-à-vis de mon trop pressant adorateur.
    — Je n’ai guère dormi cette nuit, murmura Pierre en profitant d’une légère avance que nous avions prise sur mon cerbère. Les souvenirs d’hier ne me laissaient point de repos.
    Je fus touchée par ce qu’il y avait de maladroit, justement dans ces quelques mots. Sans doute dérouté par mon changement d’attitude, désireux de me ramener au point où il m’avait laissée la veille, Pierre avançait à tâtons vers moi. Je jetai un regard sur Marcelline qui nous rejoignait.
    — Vous voyez, là-bas, ce buisson de roses rouges de Provins, m’écriai-je en jouant les écervelées. Faisons la course à celui qui y sera le premier arrivé !
    En parvenant au but en même temps que Ronsard, je me décidai à lui sourire.
    — Nous avons quelques minutes de tranquillité, dis-je. Profitons-en pour causer.
    Plusieurs allées nous séparaient de Nourrice dont l’embonpoint retardait la marche.
    — Moi aussi, j’ai pensé à vous cette nuit, avouai-je. Non pas pour revivre nos folies, mais pour tenter de comprendre.
    Il secoua le front.
    — Qu’y a-t-il à comprendre ? Il n’y a qu’à aimer !
    Rien en moi n’était prêt à accepter une telle affirmation. L’amour me paraissait rempli de pièges qu’il fallait éviter. Je saisis une rose que je froissai entre mes doigts.
    — Où allons-nous, Pierre ? Vers quel précipice m’entraînez-vous sans y songer ?
    — Ce n’est pas vers un abîme mais plutôt vers des sommets que je veux vous conduire, mon amour !
    — Je n’en tomberai que de plus haut !
    Marcelline débouchait à son tour de l’allée principale.
    — Pourquoi aller si vite, petite masque ? demanda-t-elle en soufflant.
    — Pour me dégourdir les jambes, Nourrice ! J’ai encore l’âge de courir, moi !
    Je la dévisageais avec irritation.
    — À propos de courses, repris-je en me tournant

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