Les amours blessées
l’entraînai loin de celui qui venait de m’apprendre que les jeux de l’amour sont jeux qui engagent beaucoup plus que tout autre… Le cœur et le corps y sont semblablement concernés, indissolublement mêlés. J’avais déjà entendu dire que l’esprit était fort mais la chair faible. Je venais de l’éprouver par moi-même. Cette découverte n’était pas faite pour me rassurer.
Au moment où je pénétrais dans le jardin, suivie de Marcelline qui avançait à grand-peine, sourcils froncés, ventre en avant, un souffle d’air chaud se leva, annonciateur d’orages. Je me souviens de ce vent tiède et mou sur mes joues enfiévrées comme d’une imprécise menace…
Comme je parvenais à un rond-point d’où sept allées partaient en étoile, je vis ma mère et mes frères cadets en train de faire les honneurs du parc à Gabrielle de Cintré qu’accompagnait mon amie Catherine.
Je dus saluer nos visiteuses, répondre aux interrogations de ma mère qui observait d’un œil critique le désordre de ma tenue, supporter les moqueries d’Antoine qui m’aimait bien mais ne manquait jamais une occasion de me taquiner. Dans mon dos, Nourrice grommelait je ne sais quoi entre le peu de dents qui lui restaient.
Ses paupières fardées, plissées dans une attention soudaine, Gabrielle me dévisageait.
— Un rien de négligé ne vous messied pas, ma chère enfant, remarqua-t-elle avec un sourire ironique. Au contraire. J’avoue ne vous avoir jamais trouvée aussi ravissante qu’à présent.
Tout en parlant, elle lustrait du plat de la main le satin bleu paon de sa robe. Le durcissement de sa bouche démentait le ton amusé de ses paroles. Je lui lançai un coup d’œil luisant de méfiance, pris Catherine par la main et entraînai mon amie vers ma chambre.
— Il faut que je vous parle, dit celle-ci quand nous fûmes assez loin du groupe qui s’apprêtait à visiter la roseraie nouvellement aménagée.
Depuis plusieurs années, mon père avait fait venir à grands frais, d’Italie, de Provence, d’Espagne, des plants nouveaux qu’il s’était refusé à exposer aux regards ou aux convoitises de ses amis avant d’être tout à fait satisfait du résultat. On pouvait maintenant découvrir, derrière un rideau de tilleuls une profusion de rosiers sur tiges, en buissons, de plein vent, en berceaux, en massifs, ou s’enroulant avec nonchalance autour du tronc de quelque vieil arbre.
J’imaginais sans peine les mines de Gabrielle devant cette débauche de fleurs, ses cris d’admiration, ses exagérations. Elle devait respirer les roses avec des mines pâmées et exposer ce faisant, aux yeux de mes frères fascinés, un décolleté vertigineux autant que bien rempli…
— Ma belle-mère vous en veut, me disait justement Catherine assise auprès de moi sur un gros coussin à glands de soie, pendant que tu t’affairais à me recoiffer. Elle espérait séduire notre cousin Ronsard, pensait n’en faire qu’une bouchée. Son dépit de n’y être point parvenue la pousse à l’aigreur. Comme elle devine les raisons d’une chasteté qui ne passe pas pour être dans les habitudes de notre parent, elle va chercher à se venger de vous et de lui par la même occasion !
— Que voulez-vous qu’elle me fasse ?
— Sait-on jamais ? Elle est rusée comme la renarde dont elle porte les couleurs. Méfiez-vous, Cassandre ! Je la sais capable de toutes les perfidies.
— Vous êtes de parti pris !
— Croyez-moi, je sais ce que je dis : elle vous déteste.
— Admettons que vous ayez raison. Quel mal peut-elle me causer ? Nous sommes si différentes. Elle est beaucoup plus âgée que moi ! Ronsard mis à part, nous n’avons pour ainsi dire pas d’amis communs.
— Vous aimez toutes deux un bel écuyer…
— Mais je n’aime pas cet obscur petit poète !
— On croirait entendre votre mère !
Je me sentis rougir jusqu’aux yeux. Surprise moi-même par une réplique qui avait jailli avant que j’y aie songé, je portai d’instinct ma main à ma bouche, comme pour y renfoncer les paroles prononcées.
Pauvre Pierre ! Je le reniais, à la première occasion, de ces lèvres auxquelles ses baisers avaient communiqué si peu de temps auparavant un émoi encore inconnu…
Catherine m’observait. Sur nos douze ans, nous nous étions juré de ne jamais nous mentir, de ne pas imiter les adultes, de conserver dans nos rapports la plus parfaite limpidité. Jusqu’à présent,
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