Les amours blessées
continuait-il ardemment. Si vous m’aimez comme je vous aime, nous en rirons ensemble ! Nous les ignorerons !
Posant avec précaution ses mains sur mes épaules, il m’attira avec lenteur, avec douceur, contre lui.
— Tout dépend de nous, mon cœur, de nous seuls. Si vous le voulez aussi fort que je le veux, nous pouvons triompher du mauvais sort. Partons ! Partons sans plus attendre ! Fuyons loin d’ici d’où l’on me chasse. Gagnons Paris. Nous y trouverons bien le moyen de subsister. Je ferai éditer les vers que vous m’inspirerez et la sincérité de ma passion éclatera à travers mon œuvre pour la magnifier !
Je le repoussai.
— Vous êtes fou ! Mon père nous poursuivrait, me reprendrait… vous ferait payer dans le sang le déshonneur de sa fille…
Durant l’attente imposée par la longue soirée de juin, j’avais eu le temps d’envisager toutes sortes de possibilités. J’en avais retenu une seule.
— Il existe pour nous une autre voie, dis-je en me décidant soudain à parler. Je rêve, moi aussi, d’une union entre vous et moi, mais d’une union bien différente de celle que vous me proposez, qui nous conduirait au malheur. Celle dont je vous parle nous ouvrirait les portes d’un bonheur rare… Il s’agirait d’un lien intemporel, qui nous serait sacré, que le temps ne pourrait user, qui n’offenserait pas notre foi, qui reposerait sur notre mutuelle confiance.
— Voulez-vous parler d’une sorte de mariage mystique ?
— Quelque chose dans cet esprit-là. Je vous promettrais de ne jamais me marier, moi non plus, de vous rester fidèle à travers le temps et l’espace, de vivre de mon côté de la même façon que vous.
Une candide exaltation s’était emparée de moi.
— Savez-vous bien à quoi vous vous condamnerez ?
— Je ne sais qu’une chose, c’est que nous nous aimons alors que les lois divines et humaines nous empêchent de vivre comme mari et femme.
— Hélas !
— Qu’importe ? Qu’importe puisque nous détenons si nous le voulons un moyen de nous consacrer l’un à l’autre sans pécher ?
D’une main fébrile je tirai de mon sein un petit sachet de soie que j’ouvris.
— J’ai confectionné, voici déjà plusieurs jours, deux anneaux avec une mèche de mes cheveux que j’ai tressée, dis-je non sans fierté. Ils étaient destinés à nous servir de gages pour de secrètes fiançailles. À présent, si vous y consentez, nous les porterons comme alliances.
Je glissai un des joncs à l’annulaire de Pierre dont je devançais ainsi les objections.
— Passez-moi l’autre, demandai-je.
Je le sentais troublé bien qu’à demi réticent.
— Nous voici liés, assurai-je, profitant d’instinct de mon avantage. Jurons maintenant de nous aimer toujours, même de loin, de ne jamais nous trahir, de nous considérer au fond de nos cœurs comme époux consacrés. Jurons que ces anneaux nous uniront à jamais l’un à l’autre… que la mort seule pourra nous séparer.
— Je le jure, chère et adorable folle ! murmura Pierre, vaincu par le désir qu’il avait de me complaire plus que par mes arguments.
— Je le jure ! répétai-je, enivrée par la beauté de mon geste.
On entendait dans le colombier contre lequel nous nous trouvions des bruits d’envols, de disputes, de bousculades…
— Tu es donc à moi en dépit de tout, soupira Ronsard en profitant de mon émotion pour m’attirer dans ses bras avec moins de prudence qu’un moment plus tôt. À moi pour toujours, à moi de ta propre volonté !
Je le devinais pris à son tour d’un vertige dont je compris bien vite qu’il n’était pas de même nature que le mien.
— Pourquoi ne pas sceller un tel serment par un autre don, plus intime ? murmura-t-il en m’embrassant sur tout le visage un peu au hasard, avec emportement. Nous voici unis. Nous sommes épris et jeunes comme le printemps. Faisons comme lui : aimons !
D’une pression de son bras passé autour de ma taille, il chercha à m’étendre sur l’herbe du clos.
— Vous oubliez que, pour ne pas devenir sacrilège, notre hymen doit demeurer innocent ! m’écriai-je. Si je vous cédais maintenant, nous commettrions un blasphème !
— Cassandre !
Bas et rauque comme une plainte, l’appel me poignit.
— Cassandre, puisque tu acceptes de n’être jamais à aucun autre, puisque tu veux bien sacrifier ta jeunesse, ta beauté, ton avenir, au pauvre clerc que je suis, pourquoi
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