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Les amours blessées

Les amours blessées

Titel: Les amours blessées Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jeanne Bourin
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intérieure agitait tout mon corps.
    Je me levai sans bruit, passai une chemise, une jupe, une camisole de linon et m’enveloppai dans une marlotte de satin blanc avant de sortir furtivement.
    Je me faufilai dans les couloirs où quelques serviteurs dormaient sur des matelas devant les portes qu’ils avaient à garder. Plusieurs fois il m’arriva de frôler de ma jupe, non sans un battement de cœur, leur premier et pesant sommeil.
    Par une petite porte, je sortis dans la cour.
    Heureusement, le temps demeurait couvert. La nuit tourmentée voilait et dévoilait alternativement la lune qui était alors, je m’en souviens, dans sa première moitié.
    Profitant des mouvements du ciel, je me glissai le long des murs, tour à tour caressée ou rudoyée par le vent d’ouest.
    Enveloppé dans un manteau sombre, Pierre m’attendait derrière le colombier.
    Je m’arrêtai à quelques pas de lui. Une sorte de frayeur religieuse me paralysait soudain.
    — Ainsi, vous connaissez à présent la vérité sur mon état, dit-il tristement. Et vous ne la tenez pas de moi. Je n’ai pas eu le courage de parler le premier !
    — Je ne comprends pas ce qui vous en a empêché, chuchotai-je.
    — Je ne pouvais consentir à vous perdre.
    — Mais vous m’aviez perdue d’avance ! Rien n’était possible entre nous… entre un futur prêtre et moi !
    — Si. L’amour !
    Je frissonnai.
    — Mesurez-vous ce que vous dites ? Me voyez-vous vous partageant avec Dieu ? C’est le Seigneur lui-même qui nous sépare.
    — Non, ce n’est pas Dieu ! Mon père est l’unique responsable de mon changement d’état. Après la maladie qui m’a frappé trop gravement pour me permettre d’envisager encore la carrière des armes ou celle de la diplomatie, c’est lui qui a décidé de son propre chef de me faire tonsurer ! Sans tenir compte de mes répugnances, il m’a obligé à prendre le bonnet rond pour assurer, disait-il, mon avenir. Il ne croyait pas en mes dons de poète. À ses yeux, les prébendes et les bénéfices attachés à la cléricature pouvaient seuls me permettre d’assurer ma subsistance…
    Une rancune, une amertume vengeresses faisaient trembler sa voix.
    Pour en avoir entendu parler autour de moi, je savais qu’il était possible aux laïcs, sans qu’aucun vœu leur soit imposé, à la simple condition de recevoir la tonsure, d’accéder aux dignités et bénéfices substantiels de l’Église. Beaucoup s’en indignaient…
    — Vous ne pouvez imaginer, Cassandre, reprenait Pierre, l’angoisse, la douleur, les luttes, que la décision de mon père a fait lever en moi. Pieux et sincèrement croyant, je n’étais néanmoins nullement fait pour le célibat. Tout mon être aspirait à l’amour des femmes, à l’amour d’une femme… Ma jeunesse pleine de voyages et d’aventures ne me disposait pas non plus à devenir clerc. Ce fut un des moments les plus durs de ma vie. Ce fut un déchirement.
    — Il fallait refuser.
    — Refuser l’arrangement de mon père ? Qu’avais-je à lui offrir en compensation ? Malade, cadet, sans autre richesse que quelques vers ignorés de tous, que pouvais-je lui proposer en échange de la solution dont il pensait qu’elle était la meilleure pour moi ? Non, non, mon amour, en dépit de mon immense désir de rester libre, au Mans, je n’ai pas eu le choix !
    Un sanglot sec l’interrompit. Ce chagrin d’homme me bouleversait. La nuit me cachait ses traits, mais les ondes de sa souffrance me parvenaient, toutes proches.
    — À cause de la volonté de votre père, tout est devenu à jamais impossible entre nous, constatai-je pourtant dans un souffle. Je ne vous en veux plus de votre silence dont je peux comprendre les raisons, seulement, voyez-vous, je ne suis pas faite pour vivre en secret des amours interdites. Je ne suis à l’aise que dans l’ordre et la clarté. Vous deviendrez prêtre un jour. Je ne peux plus songer à vous comme à un homme disponible.
    — Je ne suis pas encore prêtre, ma bien-aimée ! Je demeure libre de disposer de mon cœur, libre de vous aimer ! Bien des tonsurés font ainsi. Pourquoi pas moi ?
    Il s’était rapproché mais hésitait à me toucher tant il appréhendait de ma part un geste de défense.
    J’avais donc deviné juste ! Il ne sortirait pas de cléricature.
    — Qu’importe, Cassandre, les conventions, les barrières, les blâmes, les proscriptions qui se dressent contre nous, entre nous !

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