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Les amours blessées

Les amours blessées

Titel: Les amours blessées Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jeanne Bourin
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refuser d’aller jusqu’au bout de ton offrande ? Un mariage secret comme le nôtre n’est pas forcément chaste. Pourquoi me dénier le seul bien auquel j’aspire, auquel mon titre de mari choisi et confirmé par toi me donne droit ?
    Il m’enlaçait plus étroitement.
    — Mon amour, j’ai tant envie de toi !
    — Nous devons rester purs, même s’il nous en coûte.
    — Je n’en puis plus…
    — Si je vous écoutais, Pierre, tout serait gâché. Notre serment perdrait sa raison d’être ! m’écriai-je en m’arrachant à lui. Songez que nous venons de nous engager sous les règles de l’amour courtois, comme au temps des preux. Y faillir serait forfaiture !
    — Tristan et Yseut ont dormi dans les bras l’un de l’autre, ne vous en déplaise, protesta-t-il, et puis je t’aime à en mourir…
    — Notre amour s’accroîtra de notre sacrifice même, croyez-moi, affirmai-je, toujours grisée par la beauté, l’étrangeté de notre situation, par la fascination d’un renoncement dont je ne mesurais en rien le sens profond. Si je ne suis jamais à un autre, je ne serai non plus jamais à vous. Seuls, nos cœurs et nos âmes sont joints et devront le demeurer jusqu’à notre dernier souffle !
    Tu dois penser qu’il fallait que je sois bien naïve ou bien sotte pour concevoir et exiger d’un homme une pareille entreprise. Pourtant, beaucoup plus tard, j’ai appris que Ronsard, sur la requête de notre reine Catherine, s’était laissé entraîner dans une aventure similaire. Une autre femme et lui firent un jour serment de s’entr’aimer d’un amour inviolable. On a parlé alors d’une sorte de mariage mystique, suivi de rites d’envoûtement, d’une invraisemblable promenade en coche, devant toute la Cour, dans les jardins royaux… Dieu merci, je sais depuis la visite de Jean Galland à quoi m’en tenir sur cette exhibition qui fut la dernière à laquelle mon poète accepta de se prêter…
    — Cassandre, songes-tu, cruelle, que nous allons nous séparer sans que tu m’aies rien accordé ? gémissait Ronsard à mon oreille. Imagines-tu ma torture dans les jours, les semaines à venir ? Cassandre, comment vais-je vivre loin de toi ?
    — Nous nous écrirons, nous nous rencontrerons à la Cour ou à Paris. Vous reviendrez à Blois…
    — La route est longue, la distance malaisée à franchir, les lettres peu sûres… Tu es surveillée… Oh ! mon amour, je voudrais t’emporter dans mon manteau !
    — L’anneau que nous avons échangé sera auprès de toi le fidèle garant de ma foi, assurai-je en me décidant à tutoyer à mon tour celui que je renvoyais avec de bonnes paroles. Cette tresse faite de mes cheveux est un peu de moi que tu détiens désormais. Où que tu ailles, je serai avec toi.
    — C’est de votre véritable présence, Cassandre, que j’ai besoin…
    Du bout des doigts, il caressait dans l’obscurité mon visage comme s’il avait voulu l’imprimer dans sa mémoire. Il suivait la ligne du front, le modelé des pommettes, ma lèvre inférieure gonflée de baisers, mon cou où frisaient des mèches échappées à mes nattes. Je sentais la chaleur, la tendre pression de ses longues mains qui me redessinaient… Entre deux nuages, la lune glissa soudain un rayon bleuté qui, traversant le feuillage d’un noyer proche, vint parsemer de taches laiteuses ma peau et la sienne. Avec dévotion, Pierre embrassa sur moi chaque tache de lune.
    — Phœbé vient me rappeler à l’ordre, murmurai-je. Il faut que je rentre. Si on s’apercevait de mon absence, je serais perdue !
    Je le croyais. Je le croyais vraiment, avec toute la présomption, l’inexpérience de mes quinze ans.
    C’est ainsi que je laissai passer la première occasion qui m’était offerte de m’attacher au destin d’un homme qui n’aimait en moi que moi-même, qui me proposait ce dont tant de femmes rêvent : un amour aventureux, entaché de scandale, un peu fou…
    Quand je me séparai de Pierre, en cette nuit de juin, une excitation doublée d’un secret contentement me transportait. J’éprouvais le sentiment d’avoir accompli une action sublime en désarmant mon trop charnel séducteur, tout en sauvegardant le lien spirituel qui nous unissait. Je conservais un amoureux sans pour autant entraîner un clerc dans le péché, je n’avais pas sacrifié mon honneur à un désir qu’au fond je ne partageais guère.
    Nous étions convenus que Ronsard répondrait à ma lettre

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