Les amours blessées
mode.
D’une main blanche, soignée comme celle d’une femme, il tirait délicatement sur sa moustache couleur de paille.
— Ma petite mignonne, dit alors Gabrielle dont les yeux m’inspectaient avec une sorte de curiosité maligne, ma petite mignonne, ne soyez pas trop cruelle envers Jean de Pray. Il est, lui aussi, de nos parents.
— Vous êtes la reine de la fête, demoiselle, déclara avec une platitude toute mondaine le jeune homme dont le joli visage se parait maintenant d’une expression charmée.
Gabrielle partit d’un rire gourmand.
— Voilà qui n’est guère galant à mon endroit, s’écria-t-elle avec une bonne humeur que l’excitation du bal et les fumées des nombreuses coupes que je l’avais vue vider devaient expliquer. Je vous pardonne cependant par amitié pour cette enfant. Elle est, en effet, ravissante, et son charme ne saurait laisser personne indifférent. Vous serez d’ailleurs appelés tous deux à vous rencontrer souvent dans l’avenir : votre nouvel admirateur, ma chère Cassandre, est héritier d’une charge enviée : celle de maître d’hôtel et des eaux et forêts du duc de Vendôme. Il réside, par voie de conséquence, en son domaine de Pray qui n’est guère éloigné de Talcy.
— Pourrai-je venir vous saluer prochainement au titre de ce voisinage ? me demanda le jeune homme.
— Tant que vous le voudrez, bien sûr ! lança en répondant à ma place Gabrielle qui paraissait beaucoup s’amuser. Tant que vous le voudrez ! Notre Cassandre doit, depuis peu, s’ennuyer dans l’enceinte de son château. Je jurerais qu’elle éprouve, comme nous toutes du reste, un grand besoin de divertissement !
— Je ne me suis jamais ennuyée de ma vie ! protestai-je avec impatience. Tous mes instants sont occupés.
— Il est vrai que les Arts et les Lettres prennent une large part de votre temps, admit Gabrielle en s’éventant nonchalamment avec son plumail. Vous trouverez quand même bien, ma mignonne, un moment à consacrer parfois à votre nouveau et aimable voisin, n’est-il pas vrai ?
Dans un grand balancement de soie remuée, elle pivota sur les talons de ses mules brodées et s’éloigna. Je la vis reprendre d’autorité le bras du cavalier qu’elle avait quitté pour venir nous voir. Tout dans son attitude disait sa satisfaction.
— M’accorderez-vous cette volte, demoiselle ? demanda Jean de Pray, en s’inclinant avec grâce devant moi.
— Pourquoi pas, monsieur ? J’aime aussi le bal, dis-je en posant ma main sur le poing offert.
Tout en m’avançant au côté de mon nouveau cavalier vers le centre de la salle, je me souviens avoir songé qu’un pas de danse n’engageait à rien. Ce en quoi je me trompais.
5
Amour me brûle, et l’hiver froidureux,
Qui gèle tout, de mon feu chaleureux
Ne gèle point l’ardeur qui toujours dure.
Ronsard.
Si l’été qui suivit fut pour moi rempli de fêtes et de rencontres, il n’en fut pas de même pour Ronsard.
Après avoir suivi la Cour dans ses déplacements, il se vit soudain privé de sa charge d’écuyer par la brusque disparition de son prince, Charles duc d’Orléans, second fils de France.
Te souviens-tu, Guillemine, combien la peste, qui demeure toujours si présente dans nos pensées et dans nos peurs, fit de victimes cette année-là ?
Au printemps, une première épidémie avait vidé Paris. Dans les mois qui suivirent, le mal gagna la province. Or, la Cour se trouvait en Picardie au début de septembre. L’armée du Roi se préparait à y attaquer les Anglais.
Durant le siège de Boulogne, le compagnonnage des camps aidant, le dauphin Henri et son frère cadet avaient fini par se réconcilier. Plus fort que les dissensions nées des intrigues, le lien du sang les avait rapprochés. Sous les armes, dans le danger partagé, ils s’étaient retrouvés.
Ce ne furent, hélas, que de brèves retrouvailles. Le prince Charles devait rencontrer la mort peu de temps après, non pas en glorieux combat, mais à cause d’un jeu assez sot, comme les guerres de positions durant lesquelles les combattants s’ennuient, peuvent en susciter parfois.
Avec quelques jeunes gentilshommes de sa suite, il pénétra un jour dans une demeure dont les occupants venaient d’être décimés par une épidémie. Les arrivants s’amusèrent alors à éventrer à larges coups d’épée couettes et matelas abandonnés dans les chambres vides. Avec de grands rires, ils firent voler
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