Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les amours blessées

Les amours blessées

Titel: Les amours blessées Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jeanne Bourin
Vom Netzwerk:
en effet, son protecteur, son second père, Lazare de Baïf cessa de vivre. Avec ce sage s’en allait la sécurité d’une amitié qui lui avait été d’un grand et fidèle secours. Où aller ? Où trouver le gîte et le couvert qui permettraient d’œuvrer au regroupement des poèmes déjà écrits ainsi qu’à la composition de nouveaux vers ?
    Ce fut Jean Dorat, devenu principal du collège de Coqueret, qui proposa à Pierre et à Jean-Antoine, orphelin sans fortune, de venir loger chez lui. Bienheureux Dorat ! Grâce à lui, Pierre goûta de nouveau la tranquillité d’esprit nécessaire à la création. Ses besoins matériels assurés, il put se mettre au labeur. Seulement, sur les conseils de son intransigeant professeur, il renonça à publier prématurément ses œuvres, jugées encore imparfaites.
    Joachim du Bellay vint sans tarder rejoindre Ronsard et Baïf chez Dorat, rue Chartière. Le trio se plongea derechef dans l’étude du grec.
    J’ignorais tout cela.
    Ce que je sus, en revanche, ce fut qu’en septembre de cette même année paraissait parmi les Œuvres de Jacques Peletier, le premier auditeur de Ronsard au Mans, une Ode intitulée : « Des beautés qu’il voudrait à s’amie », signée de Ronsard. Il l’avait symboliquement adressée à un ami très cher.
    Je me procurai le livre avec une curiosité frémissante.
    Je me revois, au début d’un automne qui était beau et chaud, allongée sur l’herbe du parc à l’abri du feuillage d’un tilleul fort vieux, dévorant le poème que je venais d’acheter. J’y découvrais un portrait de moi qui me fit rougir par ses précisions sur mes traits, ma peau, mes seins, ma taille, mes jambes, et bien d’autres particularités comme celle de mon teint de brune où il m’était impossible de ne pas me reconnaître. Dans cette description extasiée de mon corps, je retrouvais le goût de Pierre pour les investigations secrètes, les baisers mouillés, les caresses que je regrettais.
    Mais plus encore que ces rappels sensuels, ce furent les accents vibrants, les cris de passion lancés vers moi à travers une image à peine transposée qui me touchèrent au cœur. Il n’y avait pas jusqu’à la frivolité et la cruauté dont il se plaignait tout en les excusant, qui ne fussent témoignage de dépendance amoureuse.
    Il me sembla que je n’avais jamais encore lu, sous la plume de mon poète, de plus ardent, de plus émouvant poème à mon endroit. C’était un hymne composé en mon honneur, un chant poignant qui s’élevait d’entre les feuillets de l’ouvrage, pour me porter un message aisé à déchiffrer, le premier de ce ton qu’il m’était donné de lire sous sa signature. Je m’y trouvais partout présente, partout appelée, partout adorée…
    Qui dira l’émoi d’une jeune femme mal mariée, mal aimée, en découvrant la preuve d’une fidélité proclamée avec une telle intensité par un homme dont l’éloignement ne semblait en rien avoir diminué l’attachement ?
    Je me baignai dans ces vers comme dans une onde rafraîchissante dont le contact, pourtant, me brûlait.
    À partir de cette lecture, mes pensées s’envolèrent avec davantage de célérité vers celui qui se montrait capable de m’évoquer si bellement, si tendrement.
    À l’ombre des murs de Pray, je me repris à espérer. Je délaissai une réalité blessante pour me réfugier dans une songerie très douce qui me sauvait du désespoir.
    J’étais en de telles dispositions quand il me fut donné de revoir Pierre.
    En octobre 1548, Antoine de Bourbon, duc de Vendôme, épousa à Moulins Jeanne d’Albret, la fille du roi de Navarre.
    Les nouveaux mariés décidèrent de venir, après les fêtes nuptiales, passer trois mois en leurs terres vendômoises. Ils s’installèrent au château de Montoire, non loin de Couture, le village de Pierre.
    Durant l’hiver suivant, afin de présenter à sa jeune femme ses amis, ses protégés, ses vassaux, le duc donna une grande et fastueuse réception. La forteresse qui domine, du haut d’une butte naturelle la paisible petite cité mirant ses maisons dans les eaux vertes du Loir, avait été aménagée dans cette intention.
    Tout le monde en parlait avec admiration dans la province.
    Comme je connaissais l’attachement de Ronsard envers son suzerain, comme je l’avais entendu témoigner de ses sentiments de fidélité à son égard, je me persuadais qu’il tiendrait à assister à la cérémonie de

Weitere Kostenlose Bücher