Les amours blessées
conseils de son confesseur, s’était enfin décidé à renvoyer la duchesse d’Étampes. On le pleura un peu, puis on se tourna vers son successeur.
Le règne d’Henri II commençait… et, avec lui, celui de Diane de Poitiers.
Catherine de Médicis, la cousine de mon père, devenue Reine de France, ce qui remplit les Salviati de juste orgueil, n’en demeura pas moins dans l’ombre du couple adultère. Elle sut s’en accommoder et s’occupa de ses enfants.
Le pouvoir avait changé de mains.
La faveur du connétable de Montmorency monta au zénith. Ses neveux bénéficièrent, eux aussi, de la faveur du souverain. L’un, Odet de Châtillon, déjà cardinal-archevêque de Toulouse, se vit attribuer l’évêché-pairie de Beauvais. Le second, Gaspard de Coligny, fut nommé colonel général d’infanterie.
Une famille de Lorraine, celle des Guise, bénéficia elle aussi de la bienveillance royale.
La Grande Sénéchale était à l’origine de ces choix. Elle établissait ainsi à sa façon un subtil équilibre entre les influences des uns et des autres auprès du nouveau monarque qui ne lui refusait rien.
Autour de ces Grands, chacun cherchait à se placer au mieux de ses intérêts.
Ronsard, qui avait passé de longs mois à étudier sous Dorat en compagnie de Jean-Antoine de Baïf, son inséparable, ne se trouvait pas en bonne position vis-à-vis du règne qui commençait. Il n’avait jamais courtisé le Dauphin, n’avait jamais versifié en l’honneur de Diane de Poitiers.
Un malaise l’envahit. Il décida de suivre l’unique protecteur qui lui restait, Charles de Pisseleu, évêque de Condom, demi-frère de la duchesse d’Étampes, qui partait prudemment pour la Gascogne. La disgrâce de l’ancienne favorite plongeait d’un coup toute sa famille et ses amis dans les ténèbres extérieures. Il était sain de changer d’air.
Pierre s’y sentait d’autant plus entraîné que le petit groupe des compagnons de Lazare de Baïf jugea également préférable de s’éloigner pendant un temps des bouleversements qui agitaient le royaume. Chacun s’égailla.
Une fois de plus, des événements inattendus précipitaient Ronsard loin des chemins qu’il comptait emprunter. Le passé, rayé de noir, s’effondrait. Que réservait l’avenir ? Henri II serait-il un roi-mécène comme l’avait été son père ? Protégerait-il les Lettres et les Arts ? Leur serait-il seulement favorable ?
C’est durant son retour de ce voyage entrepris sous la pression des circonstances politiques que Pierre rencontra dans une hostellerie Joachim du Bellay. Ce fut le début d’une amitié que la mort seule put interrompre. Pierre m’a souvent parlé de son nouvel ami. Il m’est aussi arrivé de le rencontrer quelques fois…
Joachim avait alors vingt-cinq ans. C’était un mince garçon brun, fin comme une lame, plein d’esprit, mais nonchalant à l’extrême, amoureux impénitent des Belles Lettres autant que des belles femmes !
Étudiant en droit à l’université de Poitiers, il ne montrait aucun goût pour ses études. Ainsi que Ronsard, il ne rêvait que poésie !
Dès qu’ils se connurent, ils s’entendirent tous deux comme s’ils se fréquentaient depuis l’enfance. Sans peine, Pierre décida du Bellay à monter avec lui à Paris. Il le convainquit également de demeurer rue des Fossés Saint-Victor en sa compagnie et celle de Baïf. Leur impécuniosité mutuelle s’en trouverait bien.
Durant l’été qui suivit, j’appris par hasard la présence de Pierre en Vendômois. Il était sans doute venu s’y retremper dans l’air et la lumière qu’il aimait. Envers moi, il n’eut pas un geste. Il ne se manifesta d’aucune façon. Je dus me contenter d’entendre citer son nom au gré des propos mondains. Je n’en fus pas surprise. N’avais-je pas mérité ce silence ?
D’après ce que j’ai pu apprendre par la suite, ce séjour fut pour Ronsard une étape consacrée à une retraite méditative. Ma trahison, la disparition du Roi, les transformations de notre société, tout le rejetait vers ce qui avait toujours été pour lui refuge et apaisement : la nature, la vallée du Loir, la solitude des bois, la paix des champs.
Quand il reprit vers la fin des beaux jours la route de Paris, il me dit plus tard s’être senti enfin prêt, bien décidé à entreprendre la publication de ses premières œuvres.
Une fois de plus, la mort devait ajourner ses projets. À l’automne,
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