Les amours blessées
depuis que le premier avait répondu au nonce qu’il n’avait pas l’intention de voir se rouvrir le concile de Trente. Dans l’unique but de faire plaisir à Charles Quint, le pape était passé outre.
— Calmez-vous, mon ami, dit Marie. Calmez-vous. Cette histoire est fâcheuse, certes, mais elle ne me paraît pas sans remède.
— En effet ! lança Claude sombrement. Vous avez raison. Il y a un remède : la guerre !
Je sursautai.
— Serait-elle déjà déclarée ? demandai-je.
— Pas encore, répondit le bailli de Blois, mais je ne vois pas comment on pourrait l’éviter !
Les enfants de la maison firent alors irruption dans la salle. On parla d’autre chose.
Je ne tardai pas à constater qu’en ville la turbulente famille de Marie l’accaparait bien davantage qu’à la Bonaventure. Alors qu’à la campagne l’existence champêtre, ses activités comme ses divertissements, occupaient son petit monde, il en était tout autrement dans notre cité. L’espace plus restreint, la nécessité de surveiller les études dispensées à domicile par des précepteurs venus de l’extérieur, les obligations inhérentes aux fonctions officielles de son époux, son train de maison enfin, créaient autour de mon amie un courant d’agitation continue.
Ce fut donc au milieu des allées et venues incessantes de son entourage que je me mis en devoir de parler à Marie de mes difficultés. Tout en m’expliquant et sans doute à cause du milieu ambiant, je mesurais combien les propos que je tenais devaient paraître incongrus et déplaisants à une femme chargée de responsabilités si naturellement honorables.
— Vous m’aviez assurée que les invites de Ronsard ne vous feraient jamais fléchir, dit-elle d’un air grave quand j’en eus terminé. Il était cependant aisé de prévoir que vous présumiez de vos forces. Un homme aussi épris, aussi attachant, ne pouvait que vous émouvoir.
J’acquiesçai en silence.
— En réalité et contrairement à ce que vous imaginez, l’attrait que vous éprouvez maintenant pour lui ne devrait pas changer grand-chose à votre comportement. Vous avez à résoudre une question d’ordre moral. Êtes-vous de celles qui font passer leurs sentiments avant la foi jurée ou est-ce le contraire ? Tout est là.
— Je croyais faire partie des secondes, mais à présent, je ne sais plus bien…
Marie frappa ses paumes l’une contre l’autre en faisant une grimace de contrariété.
— Je n’aime pas vous entendre vous exprimer ainsi ! s’écria-t-elle vivement. Allons, Cassandre, allons ! Songez à votre honneur d’épouse, aux engagements pris, à votre famille si prestigieuse, à votre parenté avec une reine qui, dans des conditions assez proches des vôtres, donne un tel exemple de dignité !
— Si flatteuse qu’elle puisse être, une parenté a-t-elle jamais empêché l’amour de se manifester ? soupirai-je. Si Catherine de Médicis, en effet, est vertueuse, notre Roi, lui, n’est-il pas le premier à offrir à ses sujets le spectacle d’un adultère admis et comme légitimé ?
— Ne vous réfugiez pas derrière une excuse qui n’en est pas une, mon amie. Les erreurs des grands de ce monde ne justifient en rien les nôtres. Nous ne sommes redevables que de notre conduite personnelle, ne l’oubliez pas.
— Je sais, Marie, je sais…
— Courage ! me souffla-t-elle comme son fils aîné entrait pour lui demander de venir assister à sa leçon de hautbois. Courage ! L’unique force sur laquelle nous pouvons réellement nous appuyer réside au plus secret de nous. Priez pour demander à Dieu qu’il la vivifie en vous…
Durant le reste de ma visite, nous ne trouvâmes plus un seul moment de tranquillité.
Je restai à Blois jusqu’à la Pentecôte.
Entre les anxiétés familiales, la distance dont ma mère ne se départait en aucun cas, l’autorité paternelle à laquelle il ne s’agissait pas de se dérober, le peu de temps que Marie pouvait m’accorder et l’étrange impression de flotter comme un fantôme dans une demeure qui n’était plus la mienne, mon malaise n’avait fait qu’empirer.
Ce fut avec amertume que je m’en retournai vers Courtiras : ma famille pas plus que mon amie ne m’avait été d’aucun secours. Seule je me sentais en arrivant à Blois, seule je restais en en partant. Face au choix qui m’attendait, je n’avais d’autre recours que moi-même…
Jean se trouvait à la maison quand
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