Les amours blessées
passants qui pouvaient survenir, Pierre, couché sur moi, me couvrait de baisers.
Il fallut l’arrivée d’une bande d’enfants joueurs dont les cris et les rires innocents étaient sans doute les seuls à pouvoir nous arracher aux bras l’un de l’autre, pour interrompre des caresses contre lesquelles je me défendais avec de moins en moins de conviction…
Quand je fus à nouveau seule, le soir venu, dans ma chambre, après une séparation plus embarrassée que d’habitude, je dus me rendre à l’évidence : je faiblissais.
Pierre détenait à présent des alliés dans la place. Demeurés jusque-là en léthargie, mes sens commençaient à se manifester. Leur éveil était, certes, un succès pour celui qui en était cause, mais, pour moi, cet éveil serait-il faste ou néfaste ? Si je n’étais plus capable de me défendre moi-même des avances dont j’étais l’incessant objet, qu’allait-il advenir de mon amour idéal, de nous, de moi ?
Une telle interrogation était déjà une réponse.
Je me résolus à fuir, à m’éloigner, à mettre quelque distance entre Pierre et la femme aux abois que j’étais en train de devenir.
Je décidai de gagner sans plus attendre Blois où mes parents résidaient en cette période de l’année et où je savais que Marie de Musset m’assisterait de son amitié.
Je partis donc le lendemain, sans avoir voulu revoir Ronsard. Ma résolution pouvait lui sembler cruelle, mais elle m’était apparue comme l’unique moyen dont je disposais pour éviter de choir dans un gouffre qui m’attirait jusqu’au vertige.
Cette retraite imprévue, alors qu’il me devinait sur le point de succomber, bouleversa Pierre et lui inspira un de ses plus attachants sonnets :
« Veuve maison des beaux yeux de ma dame… »
Je ne le lus que plus tard mais je suis persuadée que même si j’en avais pris connaissance dès ce moment-là, je n’en aurais pas moins fait boucler mes coffres de voyage pour fuir loin de celui dont la sensualité avait fini par me communiquer un peu de sa fièvre…
Jusqu’à la scène au bord de la fontaine, j’étais parvenue à demeurer maîtresse du jeu parce que maîtresse de moi. En perdant ma propre maîtrise, je perdais le pouvoir d’orienter les événements à ma guise.
« Pourquoi », me diras-tu, « tant d’obstination à demeurer irréprochable alors que votre mari ne se gênait pas pour vous tromper, alors que votre désir rejoignait enfin celui de votre amant ? »
Je ne sais pas au juste. Il est certain que je tenais le sacrement du mariage pour sacré et inviolable. Faillir à un engagement aussi solennel me révulsait même si Jean, de son côté, ne s’en souciait pas.
Je redoutais aussi les manifestations de l’amour physique qui nous ravale à l’état d’animaux et dont mon mariage m’avait dégoûtée. Cette appréhension perdurait dans mon esprit alors même que ma chair n’y souscrivait plus autant.
Peut-être également y avait-il une part d’orgueil dans mon intransigeance. Peut-être aussi autre chose… Cette chasteté dont je me voulais la vestale était-elle vraiment due à l’horreur de la faute ? Ne pouvait-on, avec un peu de clairvoyance, déceler au fond de mon âme la pensée que c’était à mes atermoiements que je devais la survie d’une passion que la satiété et l’habitude auraient sans doute usée jusqu’à la trame ? N’était-il pas établi que les plus longues amours étaient les plus chastes parce qu’inassouvies et n’était-il pas tentant de prolonger la dépendance d’un homme de la qualité de Ronsard ?
Tu vois, je te livre mes plus secrètes réflexions…
Tout bien considéré, je ne suis pas certaine que mon comportement méritât des louanges. Pierre m’aimait. La ferveur qu’il continuait à me témoigner depuis des mois en dépit de mes esquives n’était-elle pas une preuve de la pérennité de ses sentiments ? Que voulais-je donc démontrer avec ma poursuite sans fin des règles de la courtoisie ? Ma vertu ou mes pouvoirs sur un homme ?
Mes principes et mes justifications étaient-ils autre chose que de simples prétextes ?
Ces pensées et quelques autres se bousculaient dans ma tête alors que je m’éloignais de Courtiras.
Vêtue d’une robe à chevaucher de drap améthyste, masquée de satin noir, suivie de deux valets et d’un mulet qui portait mes coffres de cuir, je cheminais au milieu des champs verdoyants sans trop les voir tant les
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