Les amours blessées
entreprendre la campagne, Henri II s’était appuyé sur son alliance avec le sultan Soliman et avait bénéficié de la neutralité du nouveau roi d’Angleterre, Édouard VI.
Furieux, Jules III jeta l’anathème sur notre souverain, ce qui provoqua de violents remous dans nos provinces où les esprits me paraissaient étrangement excités. Heureusement, la prise de Tripoli par les Turcs apeura le pape qui adressa alors ses excuses au roi de France avant de lui envoyer un légat extraordinaire en signe de réconciliation.
— Diane de Poitiers est, dit-on, favorable à une bonne entente entre le souverain pontife et son royal amant, me confia Ronsard qui savait beaucoup de choses par Carnavalet. Soyez sans crainte. Son avis prévaudra. Reste cependant l’empereur qui n’est pas un mince adversaire !
Il me sembla discerner dans son expression une sorte de jubilation secrète. Je me gardai bien de lui en faire la remarque. De mon côté, il m’arrivait de caresser sans trop oser me l’avouer l’idée qu’une guerre avec Charles Quint entraînerait le départ vers l’Allemagne de tous les nobles répondant au ban et à l’arrière-ban du roi. Mon mari ne pourrait pas s’en dispenser alors que Ronsard, clerc tonsuré, ne risquait en rien de se voir appelé…
Je me sentis rougir.
— Il n’est que d’attendre, lançai-je d’un ton qui se voulait détaché. De toute façon, la politique n’est point mon fait !
Pour détourner de semblables rêveries le cours de nos pensées, je parlai à Pierre d’une nouvelle familiale qui n’était pas sans me toucher : Jacquette, encore une fois grosse, avait accepté de rester couchée durant plusieurs mois. Cette précaution devait lui permettre de conserver l’héritier tant attendu. C’était le propre médecin des enfants royaux qui le lui avait conseillé.
— Tant mieux pour votre frère et vos parents si tout se passe selon leurs vœux, remarqua Pierre. D’ordinaire porter un enfant ne nécessite pas tant de soins. Si vous vous résolviez un jour à procréer, je suis sûr que vous n’auriez pas besoin de recourir à de telles méthodes : votre beau corps est fait pour enfanter. Heureux celui qui vous rendra mère !
Je m’empourprai.
L’arrière-saison dépouillait nos bois et nos campagnes tandis que les apprêts guerriers ne cessaient de s’intensifier. Pour les besoins du Trésor royal, vide comme à l’ordinaire, les biens du clergé avaient été soumis à un emprunt forcé grâce à une taxe exceptionnelle. Ce qui me donna l’occasion de constater que Pierre, d’ordinaire sujet à se plaindre de son peu de revenus, obtempéra sans rechigner tant il se réjouissait en secret de préparatifs qui annonçaient une longue et durable absence de mon mari.
De son côté, la noblesse avait également été mise à contribution. Priés de « prêter » aux représentants du roi leur vaisselle d’argent en vue de la fonte permettant de battre monnaie et de payer les troupes, les grands du royaume n’avaient pu se dérober. D’autant moins qu’Henri II lui-même avait montré l’exemple en remettant sa propre vaisselle à Paris aux agents du fisc. Diane de Poitiers, les ducs de Guise, plusieurs autres seigneurs de haut lignage en avaient fait autant.
Dans le but d’être pesée, estimée et fondue, une importante quantité d’objets précieux s’était donc vue livrée aux mains des Généraux responsables des Monnaies. Deux orfèvres les assistaient.
Mon mari était alors revenu à Courtiras afin de choisir les pièces de notre ménage susceptibles de répondre aux exigences royales. Sans avoir à me forcer, je m’étais fait un devoir de l’aider à ce tri.
Je nous revois, par un venteux jour d’automne, dans la salle éclairée de flambeaux de cire blanche, maniant plats, couverts, assiettes, brocs, bassins, chandeliers, boîtes à confiture, drageoirs, bassinoires, aiguières et jusqu’à la fameuse cuvette de ma chaise percée que j’acceptai volontiers de remplacer par une en étain. La clarté des bougies, celle du feu de bois, les dernières lueurs d’un soleil rougeoyant qui filtraient par les fenêtres d’ouest, arrachaient à ces témoins fastueux mais condamnés de notre existence quotidienne des reflets, des éclats, des luisances métalliques semblables à ceux que lancent les épées de combat durant un engagement. Je vis là un présage…
— Pardieu, Madame, je n’aurais jamais imaginé que
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