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Les amours blessées

Les amours blessées

Titel: Les amours blessées Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jeanne Bourin
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opportunément donnée de contrecarrer les obscures manigances d’un mari odieux…
    Je décidai donc de partir pour Talcy.
    Après des adieux fort tendres à Ronsard, je pris la route où l’hiver tardif maintenait la nature en un deuil glacé.
    Monstrueusement grosse, Jacquette me reçut en geignant.
    Elle était lasse de rester couchée depuis des mois, l’astrologue dont elle avait réclamé la présence continuelle à ses côtés demeurait évasif quant au sexe de l’enfant attendu, la sage-femme attachée à sa personne ne lui inspirait pas confiance, le départ aux armées des gentilshommes du voisinage rendait ses amies moroses. Elle se sentait délaissée et éprouvait le plus urgent besoin d’une compagne qui l’aidât à traverser ces temps d’épreuve !
    À peine descendue de cheval et encore en tenue de voyage, je me vis assaillie par une créature gâtée, despotique, imbue de l’importance dont sa future maternité ne manquerait pas de la parer dans le cercle familial et visiblement décidée à me soumettre à ses moindres caprices.
    Je n’en fus pas surprise et me résolus à subir les exigences de Jacquette dans un esprit de mortification qui me serait salutaire.
    Heureusement l’attente fut brève. Par une froide nuit où un printemps frileux prenait avec timidité la relève de l’hiver, ma belle-sœur ressentit les premières douleurs de l’enfantement.
    Dans la chambre surchauffée où on avait dressé devant la cheminée un lit de toile, la sage-femme, les servantes, des voisines et moi-même assistions le médecin dont la future mère avait exigé les soins à l’exemple des princesses royales et au mépris des habitudes les plus enracinées. Jusque-là, dans nos familles, les femmes en gésine se contentaient, ainsi que l’avaient toujours fait leurs aïeules et ainsi qu’on le pratique encore presque partout, des services d’une matrone. Cette lubie avait provoqué pas mal de remous et de critiques autour de Jacquette. Il avait fallu les espoirs, les angoisses, les difficultés des derniers mois de gestation pour faire admettre par les Salviati la nécessité d’en passer par où le voulait celle dont on attendait si impatiemment un héritier.
    Plaintes, gémissements, cris d’animal égorgé se succédèrent durant des heures. Sur la face convulsée de la patiente, la sueur coulait et se mêlait aux larmes que la souffrance lui arrachait. Saisie de pitié, je bassinais avec douceur le front, les joues, le cou sur lesquels de fines veinules avaient éclaté. Afin de les rafraîchir et de les décongestionner, je les lotionnais à l’eau de nèfle et à l’eau d’hamamélis. Pour combattre l’odeur de sanie et de sang, des fagots de cannelle brûlaient dans l’âtre.
    Ce fut au moment où la lueur de la lune, glissant dans la pièce par une des fenêtres dont on n’avait pas tiré les rideaux, toucha de son rayon blême le pied du lit sur lequel haletait Jacquette que celle-ci, dans un ultime effort et un terrible hurlement, mit au monde son enfant.
    — C’est une fille ! s’écria la sage-femme en s’emparant du nouveau-né dont le médecin venait de couper le cordon ombilical avant de s’affairer auprès de l’accouchée.
    — Seigneur ! Que va dire mon beau-père ! gémit celle-ci, soudain dépouillée du prestige dont l’espérance de donner le jour à un garçon l’avait auréolée pendant sa grossesse.
    Je connaissais assez mon père pour savoir qu’il serait furieux. Mais il aurait tort. S’il avait pu assister comme je venais de le faire à l’arrivée de sa petite-fille, il aurait sans doute, tout comme moi, été bouleversé et n’aurait plus songé à reprocher quoi que ce fût à sa bru. Du moins, je l’espérais, sans me dissimuler que le siècle de fer où nous vivons n’a pas cessé de déposséder les femmes des acquis ancestraux qui étaient les leurs dans le passé. Chaque jour, je nous voyais davantage contraintes de nous en remettre aux hommes qui font de nouveau la loi. Jadis, selon la coutume, les filles étaient majeures à douze ans et les garçons à quatorze. La majorité des jeunes gens est à présent fixée à vingt-cinq ans et l’on a oublié de préciser la nôtre. Nous voici devenues d’éternelles mineures.
    Penchée sur le berceau de ma nouvelle nièce, je me demandais ce que lui réservait l’avenir et s’il serait bon d’être femme vingt ans plus tard.
    — Il faudra appeler cette enfant Diane, suggérai-je

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