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Les amours blessées

Les amours blessées

Titel: Les amours blessées Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jeanne Bourin
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vous vous sépareriez avec si peu de regret des plus beaux ornements de notre intérieur ! remarqua Jean d’un air rempli de suspicion. Votre indifférence est des plus surprenantes.
    — Ne nous est-il pas recommandé d’attacher peu de prix aux biens de ce monde ? répondis-je tranquillement. Eh bien ! voici une excellente occasion de mettre en pratique ces pieuses recommandations.
    Mon époux me jeta un regard méfiant mais n’insista pas.
    De ce jour, il est certain que je fus moins richement pourvue. En vérité, cette privation ne m’atteignit guère. Peu de femmes s’allégèrent sans doute de leur argenterie avec autant de détachement. N’est-il pas écrit dans les Évangiles : « Où est votre trésor, là aussi sera votre cœur » ? Dieu me pardonne ! Désormais, je savais où se trouvait mon trésor.
    L’hiver revint. Le froid fut si âpre durant plusieurs mois sombres, que les corbeaux eux-mêmes, dont on sait la résistance, tombaient ainsi que des pierres, tués en plein vol par l’air glacé, tranchant comme une lame.
    Bien des gens souffrirent durement des conséquences de la mauvaise saison. Dans nos campagnes, il y eut des cas de disettes. La misère s’intensifia. Les pauvres, les malades, les enfants, vivaient souvent hélas dans une affreuse détresse.
    C’est alors que je décidai d’entraîner Pierre en de vastes tournées de secours auprès des plus démunis. Dans une des charrettes du domaine, nous empilions vêtements chauds, couvertures de laine, pain, beurre, lait, viande fumée et des galettes de froment confectionnées à la maison.
    Ces randonnées charitables me permirent de découvrir un nouvel aspect de Ronsard. Pour les avoir fréquentés dans son enfance, il connaissait bien les paysans et savait leur témoigner spontanément son intérêt. Rien ne le rebutait, rien ne le dégoûtait. Il donnait à manger à un vieillard impotent avec autant de naturel qu’il aurait pu le faire pour un parent. Penché vers ceux qui gisaient sur de mauvaises paillasses, il les réconfortait, les aidait à boire couchés ou, au contraire, à se soulever pour passer les vestes fourrées des peaux de nos moutons ou les chausses épaisses que nous leur avions apportées.
    Je l’ai vu débarbouiller des enfants morveux, coiffer des paralytiques, déplacer des marmites trop lourdes pour les pauvres mains noueuses qui devaient les soulever. Tout comme moi, il savait soigner les blessures et certaines maladies. N’ignorant aucune des vertus des simples, il s’entendait aussi à sonder les plaies, à poser des emplâtres ou des cataplasmes…
    En un mot, il m’était donné de voir vivre un homme bien différent de l’écuyer, de l’étudiant, du clerc, du poète que j’avais approchés jusque-là. Ces durs mois d’hiver parachevèrent la connaissance déjà acquise d’un compagnon aux multiples facettes et me donnèrent de nouvelles raisons de l’aimer.
    Notre solitude était presque complète. Du Bellay ne revint pas nous visiter, mon mari demeura absent, je ne reçus que de très rares amis.
    Nos courses d’approvisionnement envers les déshérités et la chasse aux loups étaient nos uniques sorties.
    À cause de la rigueur de la température en effet, des fauves rôdaient en quête de proies jusqu’aux abords des hameaux et des villages. Les habitants étaient venus en délégation nous demander de les protéger.
    À l’aube, Ronsard et quelques voisins se mettaient en chasse. Les paysans servaient de rabatteurs. Au moyen de chaudrons, de poêles, de bassins entrechoqués ou frappés de bâtons, à l’aide de tambours et de trompes, ils débusquaient les bêtes sauvages affolées par tout ce vacarme. Postés à des endroits stratégiques, Pierre et ses compagnons attendaient de voir surgir les loups. Armés d’arquebuses, ils les tiraient à vue puis s’élançaient à la poursuite de ceux qui leur avaient échappé.
    Avec certaines autres dames, je suivais la chasse à cheval, galopant derrière les hommes à travers les guérets durcis par le gel, les prés à l’herbe givrée, les bois aux branches noircies, les chemins forestiers aux ornières luisantes de glace.
    Quand nous rentrions à Courtiras, transis mais grisés de grand air, vivifiés par la course, encore excités par la traque, vainqueurs de nos ennemis dont les dépouilles avaient été ramenées triomphalement chez eux par les villageois, nous nous installions devant la cheminée où s’empilaient

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