Les amours blessées
j’y parvins. Je lui avais appris par lettre mon séjour chez mes parents, en prétextant des ennuis de santé pour expliquer ma décision.
— Vous voici donc, me dit-il en m’examinant sans indulgence. Vous avez mauvaise mine, ma chère, et vous êtes amaigrie.
Je savais qu’il aimait les femmes plantureuses et me félicitais intérieurement d’un état qui ne pouvait que lui déplaire.
— Je me sens en effet assez fatiguée, répondis-je en me baissant pour prendre dans mes bras mon petit chien qui était bien le seul à témoigner quelque joie de mon retour. J’ai l’impression de n’avoir tiré aucun profit des semaines passées à Blois.
— C’est aussi une sotte idée que d’aller se faire soigner en ville quand on a la chance de vivre au grand air de la campagne, répliqua mon mari. Je ne comprends pas pourquoi vous avez jugé bon de partir. À moins que quelque galant ne soit cause de ce déplacement.
Je haussai les épaules et gagnai ma chambre.
C’est toi, Guillemine, qui m’appris que Jean était revenu au logis peu de temps après que je l’eus quitté, qu’il avait mené joyeuse vie durant mon absence, convié des femmes légères à lui tenir compagnie, invité enfin Gabrielle de Cintré qui avait passé plusieurs jours sous mon propre toit.
— Vous avez failli la rencontrer, me dis-tu, car elle ne s’en est retournée chez elle que ce matin !
Cette ogresse devait entretenir avec celui qu’elle m’avait autrefois présenté des relations déjà anciennes et libertines. Peu m’importait. Pour la première fois depuis notre mariage, je fus même plutôt satisfaite de la présence d’un mari qui me préservait de tout risque de chute en occupant les lieux. Grâce à lui un répit m’était accordé. Je pourrais en profiter pour mieux sonder mon cœur…
Ne pouvant me rejoindre, Ronsard s’arrangea pour m’adresser un de ses amis qui était peintre. Gai et gentil garçon, ce Denisot eut l’adresse de se présenter comme un familier des dames de la Cour et proposa de faire mon portrait. Il parvint à me faire savoir sans attirer l’attention de mon époux de quelle part il venait. J’acceptai donc de poser pour lui. En dépit de l’étroite surveillance que m’imposait Jean, il nous fut possible de procéder à l’échange d’un billet que Pierre m’avait écrit et de la réponse que je lui adressai dès que j’eus un moment de libre.
Par ce moyen, je sus que Denisot recopiait chaque soir son œuvre pour son ami qui disposerait ainsi de mon effigie pour meubler sa solitude. Ce stratagème m’amusa. C’est sans doute pourquoi, sur cette toile, je souris de si malicieuse façon…
Ma compagnie ne lui apportant sans doute aucun plaisir et sa charge le réclamant, Jean me quitta à la mi-juillet pour retourner auprès du duc de Vendôme qui semblait l’apprécier plus que moi.
Je savais ce que ce départ signifierait. Pourtant, je redoutais moins qu’auparavant le retour de Ronsard.
Les semaines de vie conjugale que je venais de supporter m’avaient en effet servi à m’affermir dans ma résolution de sagesse. L’existence licencieuse de mon mari avait pour beaucoup contribué à ce retour sur moi-même. Envers l’homme qui ne respectait même pas son domicile et y faisait venir n’importe quelle femelle, j’avais conçu un mépris si absolu qu’il me servait aussi de repoussoir. Jamais je ne consentirais à me comporter comme un personnage dont la conduite me semblait honteuse et avilissante.
Tout au long de mon existence, je n’ai pas cessé de ressentir l’exigeant besoin de ma propre estime. C’est un des éléments les plus constants de ma nature. Je crois que si je cessais de me respecter je ne pourrais plus vivre…
Je l’ai d’ailleurs prouvé par la suite…
J’avais donc puisé dans les débordements de Jean matière à me rendre plus courageuse devant les tentations qui n’allaient pas manquer de m’assaillir de nouveau.
Pierre revint. La fermeté dont je me sentais armée me permit de lui manifester une affection qui commença par l’enchanter avant de le décevoir. Nos relations contrastées reprirent leur cours selon un déroulement qui était en passe de devenir d’usage constant entre nous.
Durant ce temps la guerre avait bel et bien éclaté. Non pas ouvertement contre l’empereur, mais en Italie contre le pape. Derrière celui-ci, Charles Quint, soutien déclaré du Saint-Siège, était naturellement visé. Pour
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