Les amours blessées
pour m’évader de mes pensées sans joie et pour détourner l’esprit de la jeune mère de ses propres déceptions. Elle est née quand la lune était pleine, au moment précis où sa clarté touchait votre couche. N’est-ce point là un signe ?
— Pourquoi pas ? murmura avec lassitude Jacquette. C’est un prénom à la mode et qui peut conduire aux plus hautes destinées. Puisqu’en dépit de tant de maux je n’ai été bonne à mettre au monde qu’une fille, donnons-lui au moins un nom flatteur… mais il me faut l’assentiment de mon astrologue.
À cause du sort qui fut celui de Diane, je me suis souvent blâmée depuis d’avoir pris une telle initiative. Ne sait-on pas que la lune est parfois un astre néfaste dont l’influence peut se montrer pernicieuse ? La Grande Sénéchale elle-même a connu une fin de vie pénible. Il est vrai qu’au moment dont je parle nous l’ignorions tous et que la faveur dont elle jouissait auprès du Roi en a abusé d’autres !
— Cette petite sera jolie, pronostiqua la sage-femme qui s’était occupée de laver la nouvelle-née. Elle a déjà la peau délicate de sa mère et les longues paupières de sa tante.
Pour la première fois de ma vie un rapprochement s’établissait entre ma personne et la venue sur terre d’une créature de Dieu ! Cet être minuscule tenait quelque chose de moi ! Une émotion d’un genre nouveau me serra la gorge, me tenailla le ventre.
Les jours qui suivirent demeurent dans mon souvenir émaillés de découvertes troublantes et de secrètes blessures. De tout mon cœur, je m’attachais à l’enfançon et ne voyais pas couler les heures tandis que je cousais auprès de son berceau en surveillant son sommeil. Mais Jacquette regardait d’un assez mauvais œil une affection qui lui paraissait empiéter sur ses prérogatives maternelles. Elle ne se privait pas de me signifier que Diane était son bien, celui de personne d’autre.
Il y eut le baptême, fêté en grande pompe en dépit de la réprobation de mon père, déçu, comme nous nous y étions attendues, de ne point encore avoir d’héritier, et en dépit de la double absence de Jean, mon frère, retenu aux marches de l’Est, et de ma mère, toujours malade.
Je n’avais pas été choisie comme marraine. On m’expliqua que ma plus jeune sœur, Jacqueline, avait été pressentie longtemps auparavant et qu’elle serait affreusement déçue si on changeait d’avis au dernier moment.
Il y eut les visites extasiées des châtelaines voisines, les félicitations des gens du bourg, l’orgueil légitime de Jacquette dont chacun admirait la petite fille.
Il y eut ma souffrance muette.
Bientôt, les douleurs de l’accouchement oubliées, ainsi que la déception qui avait suivi, la nouvelle mère triompha sans vergogne. La plus modeste de mes initiatives, le moindre de mes élans, étaient critiqués par elle avec aigreur. Elle entendait régner à Talcy et ne manquait pas une occasion de me faire sentir que je n’étais plus qu’une visiteuse dans le manoir de mon enfance. Elle ne voulait pas savoir que c’était elle qui m’avait demandé de venir lui tenir compagnie et ne se gênait pas pour me signifier son impatience à l’égard des sentiments de tendresse que je témoignais à Diane.
— Si vous aimez tellement les enfants, ma chère, que n’en avez-vous ! Seriez-vous bréhaigne comme la chatte du fermier ou bien serait-ce votre pauvre époux qui se montrerait impropre à engendrer ? demandait-elle avec une fausse commisération qui me mettait au supplice.
Elle riait. Les amies devant lesquelles elle s’exprimait de la sorte, trônant d’un air de souveraine entre la berceuse et la nourrice de Diane, ne savaient plus quelle contenance adopter. Moi non plus.
Une pareille agressivité devint intenable. Je me décidai à retourner chez moi.
Ainsi qu’une de ces balles de jeu de paume nommées éteufs 3 , je me voyais rejetée de part et d’autre sans trouver paix ni trêve.
Sur le chemin du retour, au cœur de la fraîcheur, des floraisons, de la gaieté du nouvel avril qui avait eu tant de mal à vaincre l’hiver tardif, je me disais que je ne me connaissais qu’un havre, qu’un abri et qu’il allait bien falloir que je finisse par m’y réfugier…
11
En toi je suis, et tu es seule en moi,
En moi tu vis, et je vis dedans toi…
Ronsard.
En plus de la découverte que j’y fis d’une nouvelle sorte de tendresse, celle qu’on
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