Les amours du Chico
gratifier
soi-même des injures les plus violentes et les plus variées.
Lorsque le jour se leva il avait enfin pris une résolution qu’il
traduisit à haute voix en grognant d’une voix qui n’avait plus rien
d’humain :
– Par le ventre de ma mère ! puisque le maudit
Pardaillan, protégé par tous les suppôts d’enfer, d’où il est
certainement issu, est insaisissable et invincible, puisque moi,
Bussi-Leclerc, je suis et resterai, tant qu’il vivra, déshonoré, à
telle enseigne que je n’aurais pas le front de me montrer dans la
rue, puisqu’il en est ainsi et non autrement et que je n’y puis
rien, il ne me reste plus qu’un moyen de laver mon honneur :
c’est de mourir moi-même. Et puisque l’infernal Pardaillan me fait
grâce, comme il dit, je n’ai plus qu’à me tuer moi-même. Ainsi ne
pourra-t-on plus se gausser de moi.
Ayant pris cette suprême résolution, il retrouva tout son calme
et son sang-froid. Il trempa son front brûlant dans l’eau fraîche,
et, très résolu, très maître de lui, il se mit à écrire une sorte
de testament dans lequel, après avoir disposé de ses biens en
faveur de quelques amis, il expliquait son suicide de la manière
qui lui parût la plus propre à réhabiliter sa mémoire.
La rédaction de ce
factum
l’amena sans qu’il s’en
aperçût jusque vers une heure de l’après-midi.
Ayant ainsi réglé ses affaires, sûr de n’avoir rien oublié,
Bussi-Leclerc choisit dans sa collection une épée qui lui parut la
meilleure, plaça la garde par terre, contre le mur, appuya la
pointe sur la poitrine, à la place du cœur, et prit son élan pour
s’enferrer convenablement.
Au moment précis où il allait accomplir l’irréparable geste, on
frappa violemment à sa porte.
Bussi-Leclerc était bien résolu à en finir. Néanmoins, la
surprise l’empêcha d’achever le geste mortel.
– Qui diable vient chez moi ? grommela-t-il avec rage.
Par Dieu ! j’y suis. C’est l’un quelconque des trois mignons
que j’ai placés chez Fausta. Peut-être tous les trois. Ils ont été
témoins de ma mésaventure, et sans doute ils viennent s’apitoyer
hypocritement sur mon sort. Serviteur, messieurs, je n’ouvre
pas.
Comme si elle avait entendu, la personne qui frappait cria à
travers la porte :
– Ho ! monsieur de Bussi-Leclerc ! Vous êtes là,
pourtant ? Ouvrez, que diantre ! De la part de la
princesse Fausta !
– Tiens ! pensa Bussi, ce n’est pas la voix de
Montsery, ni celle de Chalabre, ni celle de Sainte-Maline.
Et tout rêveur, mais sans bouger encore :
– Fausta !…
L’inconnu se mit à tambouriner la porte et à faire un vacarme
étourdissant en criant à tue-tête :
– Ouvrez, monsieur ! Affaire de toute urgence et de
première importance.
– Au fait, songea Bussi, qu’est-ce que je risque ? Ce
braillard expédié à la douce, je pourrai toujours achever
tranquillement ce qu’il vient d’interrompre. Voyons ce que nous
veut Fausta.
Et il alla ouvrir. Et Centurion entra.
Que venait faire là Centurion ? Quelle proposition fit-il à
Bussi-Leclerc ? Que fut-il convenu entre eux ? C’est ce
que nous apprendrons sans doute par la suite.
Il faut bien croire cependant que ce que l’ancien bachelier dit
au spadassin était de nature à changer ses résolutions, puisque
nous retrouvons, le lendemain, Bussi-Leclerc à la corrida
royale.
Nous devons cependant dire tout de suite que les propositions ou
les conseils de Centurion devaient être particulièrement louches,
puisque Bussi-Leclerc, qui avait glissé jusqu’à l’assassinat,
commença par se fâcher tout rouge, allant jusqu’à menacer Centurion
de le jeter par la fenêtre pour le châtier de l’audace qu’il avait
de lui faire des propositions qu’il jugeait injurieuses et indignes
d’un gentilhomme.
Il faut croire que le familier
factotum
de Fausta sut
trouver les mots qui convainquent, ou que la haine aveuglait
l’ancien gouverneur de la Bastille au point de lui faire accepter
les pires infamies, car après s’être indigné, après avoir menacé,
après s’être gratifié soi-même des plus sanglantes injures, ils
finirent par se quitter bons amis et Bussi-Leclerc ne se suicida
pas.
Donc, sans doute comme suite à l’entretien mystérieux que nous
venons de signaler, nous retrouvons Bussi-Leclerc, dans le couloir
circulaire de la plaza, semblant guetter Pardaillan, à la tête
d’une compagnie de soldats espagnols, comme
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