Les Amours qui ont fait la France
qu’il organisa sa première expédition contre les Saxons. Hildegarde, dont il ne pouvait se séparer, fut à ses côtés pendant toute la campagne. Elle coucha dans des chariots, marcha dans la boue, traversa des fleuves sur des ponts de bateaux, partagea la vie des guerriers francs, heureuse d’apporter à son roi la seule chose dont il ne pouvait se passer, même en pleine bataille : la douceur d’une présence féminine.
Charles revint de Saxe vainqueur, et s’en alla incontinent à Rome défendre le pape qui était attaqué par les Lombards. Hildegarde, bien entendu, le suivit.
La campagne fut dure et longue. Finalement, après avoir assiégé Pavie, Charles battit le roi Didier, son ex-beau-père, et le fit enfermer dans un cloître de Neustrie.
La jeune reine, en voyant comment son mari traitait la famille de Désirée, éprouva un plaisir que toutes les femmes qui ont épousé un divorcé comprendront…
Puis Charles se fit couronner roi des Lombards au lieu et place de Didier. Mais il n’eut pas le temps de s’attarder à Pavie, car les Saxons venaient de se révolter. Aussitôt, il remonta à cheval et alla leur dire deux mots…
Hildegarde s’allongea dans un luxueux chariot et suivit une fois encore son époux…
Pendant des années, la jeune femme passa sa vie à courir ainsi les chemins mal dessinés d’un empire en formation.
Puis, en 778, alors que l’armée franque campait sur la route de Roncevaux, elle annonça une grande nouvelle à Charles : un nouvel héritier était en marche.
Il en fut ravi et, le soir même, il convia tous ses amis à partager un grand festin : il y avait là, entre autres, Éginhard, le grand sommelier, Anselme, comte du Palais, et Roland, le gouverneur des marches de Bretagne. La fête fut joyeuse, et Roland s’amusa plus que les autres [30] . Le pauvre était loin de se douter qu’il allait mourir quelques jours plus tard en soufflant dans un cor…
Hildegarde donna neuf enfants à son mari. Quatre fils : Charles, Pépin, Louis et Lothaire, et cinq filles : Adélaïde, Rotrude, Berthe, Gisèle et Hildegarde.
Lorsqu’elle mourut, après onze ans de mariage, épuisée par la vie exténuante que lui avait fait mener Charles, tout le monde la pleura. Et ses historiens, pour montrer à quel point le roi fut peiné lui-même, nous disent qu’« il ne partit en guerre qu’après l’avoir fait ensevelir », ce qui, pour l’époque, témoignait d’une grande délicatesse…
Pourtant, quelques mois plus tard, Charles épousait la fille d’un comte franc, l’altière Fastrade. C’était sa quatrième femme. Elle allait avoir, elle aussi, sur le roi, une grande influence que les chroniqueurs sont d’ailleurs unanimes à déplorer. En effet, elle passa son temps à exciter Charles contre les personnages qu’elle détestait, faisant chasser des serviteurs et persécuter de braves gens dont la tête ne lui revenait pas.
Méchante et envieuse, elle jalousait les femmes des grands du royaume et poussait son mari à ordonner des répressions rigoureuses contre d’imaginaires trublions, ce qui conduisit le brave Éginhard à écrire que, « pour satisfaire la cruauté de son épouse, Charles sortit, plus d’une fois, de sa bonté naturelle »…
Faible devant Fastrade, le futur maître de l’Europe occidentale commit quelques erreurs qui suscitèrent un grand mécontentement. Ses ennemis en profitèrent pour conspirer contre lui. Averti du danger, il revint de Saxe, où il était pour l’heure en train de guerroyer, et les fit arrêter.
Fastrade lui inspira alors une manœuvre fort peu élégante : après avoir feint d’accorder son pardon aux conspirateurs, Charles les envoya prier dans une église.
— Quand vous aurez fait vos dévotions, leur dit-il, vous ne me verrez plus jamais en colère contre vous.
En effet, ils ne devaient plus jamais le voir en colère. Ils ne devaient même plus jamais le voir du tout, car, à la sortie du sanctuaire, des soldats leur crevèrent les yeux.
Ce genre d’humour noir n’est généralement apprécié que d’un petit nombre, aussi bien des gens se scandalisèrent, et finalement une conjuration se forma. Les grands, décidés à supprimer Fastrade, se groupèrent autour de Pépin le Bossu (fils que Charles avait eu d’Himiltrude), sachant bien que celui-ci était animé par la haine depuis qu’il se savait écarté de la succession. Puis ils conspirèrent la mort de la reine et celle du roi
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