Les Amours qui ont fait la France
une telle déférence que la foule put croire que les deux hommes s’aimaient sincèrement.
Le pape, bien entendu, rendit le baiser de bienvenue, mais, au cours des entretiens privés, ne cacha pas son mécontentement. Il reprocha à Charles de le ridiculiser aux yeux de toute la chrétienté et de le faire passer pour un simple domestique du roi des Francs.
Charles le rassura et lui promit la protection qu’il désirait.
Accompagné d’une petite troupe, Léon III repartit pour Rome en ruminant sa colère et son humiliation. En arrivant chez lui, il était plus souriant, car, en chemin, il avait imaginé un moyen de se venger et de montrer à Charles que le roi des Francs, malgré toute sa puissance, avait besoin de lui…
À la fin de l’automne, Charles se rendit à Rome. Il était de fort bonne humeur, car il allait présider un tribunal qui avait pour mission d’examiner les accusations portées contre Léon III… Il allait juger le pape ! Cette idée le ravissait !…
Le procès commença dès son arrivée. Il fut long, touffu et riche en incidents, car la plupart des témoins, ayant été achetés, mentaient avec un plaisir non dissimulé ; certains, même, vinrent suggérer, dans un sourire, que Léon III était peut-être pédéraste, ce qui n’avait aucun rapport avec le chef d’accusation, mais embrouilla un peu plus les choses et mit une note gaie dans le débat. Finalement, devant tant de mauvaise foi et en l’absence de preuves, Charles décida que le pape pouvait se disculper par le serment.
Lorsque ce serment eut été prononcé, l’affaire sembla terminée, et le roi franc, qui venait, une fois de plus, d’affirmer sa puissance et son indépendance à l’égard de la papauté, se frotta les mains avec une grande satisfaction.
Alors il pensa de nouveau à l’impératrice Irène qui régnait à Constantinople et dont il avait fait demander la main par des ambassadeurs.
« Si je réussis à l’épouser, pensa-t-il, je deviens empereur sans rien devoir au pape ! »
Cette idée le rendit heureux et tellement optimiste qu’il n’eut aucune méfiance lorsque Léon III lui demanda de venir, en grande tenue romaine , assister, le lendemain, 25 décembre 800, à la messe de Noël.
Il arriva donc à cet office en brillant équipage. Le pape l’attendait à la porte de l’église Saint-Pierre. Après s’être congratulés, ils entrèrent ensemble dans la nef.
— Prions Dieu, murmura suavement le souverain pontife.
Charles, qui était très pieux, ne se le fit pas dire deux fois. Il s’agenouilla devant le maître-autel et pria.
Mais, soudain, il sentit quelque chose de rond et de froid sur sa tête. Il se redressa, un peu abasourdi.
Le pape venait de le couronner empereur par surprise.
Immédiatement, tout le haut clergé, qui était dans le secret de Léon III, se mit à crier : « À Charles Auguste, couronné par Dieu grand et pacifique empereur, vie et victoire !… »
Devant Charles, encore tout décontenancé, le pape souriait avec un petit air hypocrite…
Le nouvel empereur, furieux d’avoir été joué, serra les poings [32] . Il n’était pas question de faire un scandale dans l’église où la foule des fidèles l’acclamait. Il contint sa colère, prit un air recueilli et se rendit à la place qui lui était réservée pour entendre la messe.
Ainsi, il était empereur « par la bonne grâce du pape »…
Léon III avait gagné la partie.
Or les choses avaient eu lieu de telle façon qu’il était impossible à Charlemagne de protester. Personne, en effet, dans cette ville qui était en liesse à la suite du couronnement, n’aurait compris son mécontentement.
Mais, quelques jours plus tard, le Franc se vengea : il gracia les auteurs de l’attentat du 25 avril ; ceux-là mêmes qui avaient voulu crever les yeux du pape…
Après la fête de Noël, l’empereur Charlemagne retourna à Aix-la-Chapelle et continua ses négociations en vue d’une union avec l’impératrice Irène. Comme les pourparlers étaient longs et qu’il ne pouvait vivre sans femme, il prit une concubine nommée Maldegarde. Il avait à ce moment plus de soixante ans.
Cette jeune femme connut la vie normale des épouses de Charles : elle le suivit dans tous ses déplacements chez les Saxons, les Frisons, les Hongrois et même à la chasse, lorsque l’empereur allait tuer le taureau sauvage dans les forêts de Mayence.
Elle sut se montrer douce,
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