Les Amours qui ont fait la France
jamais considérée avec la moindre concupiscence ; ce dont elle se plaignait d’ailleurs journellement, au point que Robert, excédé par des exigences qu’il trouvait non seulement impudiques, mais encore démesurées, l’avait répudiée.
Le roi était donc resté chaste et, à vingt-deux ans, se trouvait aussi pur qu’un enfant de chœur.
Le regard chaud de Berthe, et surtout sa façon voluptueuse de marcher, lui ouvrit bien des horizons. Et il pensa qu’il avait perdu beaucoup de temps avec les litanies…
Le soir même, avec la précipitation des néophytes, il voulut entraîner la femme d’Eudes dans sa couche. Sans doute formula-t-il son désir de façon un peu trop directe, car Berthe prit un air offensé et se retira dignement dans ses appartements.
Robert, qui se trouvait dans un pénible état de surexcitation, pensa que l’amour, quand il n’est pas partagé, est un sentiment bien douloureux. Et il s’en fut prendre un bain froid…
Berthe, le lendemain, retournait à Chartres. Elle laissa le pauvre Robert un peu congestionné. Personne, à vrai dire, ne pouvait le reconnaître, car la passion dont il était animé faisait, nous dit-on, du débonnaire et gentil souverain « un dangereux taureau ».
Depuis que Berthe s’était refusée à lui, il avait, en effet, une idée fixe : la rendre veuve… Oubliant tous les préceptes religieux qu’il respectait la veille encore, il se mit à envisager quelques moyens rapides de se débarrasser d’Eudes.
Mais il fallait agir avec délicatesse. Robert, bien qu’il connût encore très mal les femmes, se doutait qu’un assassinat pur et simple risquerait d’effaroucher sa belle amie. Il pensa donc à utiliser fort habilement le crime indirect.
Pour cela, il alla trouver les ennemis du comte de Chartres et leur proposa le concours de son armée.
— Nous l’aurons mort ou vif ! dit-il.
Et, prenant lui-même le commandement des troupes, il engagea aussitôt de furieux combats contre son rival. Une guerre acharnée eut lieu, qui dura deux ans. Mais l’amour de Robert ne faiblit pas. Au contraire, lorsqu’il revoyait, en pensée, les formes adorables de Berthe, il était pris d’une telle rage sanguinaire que des régiments entiers s’enfuyaient à sa vue ; et, sans doute, serait-il parvenu un jour à trancher la tête de son rival, si Eudes n’était pas mort inopinément d’une grosse grippe mal soignée.
Ce décès arrêta la guerre immédiatement, et Robert, sans attendre une seconde, se précipita à Chartres pour demander sa main à Berthe. Celle-ci avait été touchée par la constance des sentiments du roi à son égard. Elle accepta. Et Robert réussit à prendre sur un bonheur futur l’acompte qu’il attendait depuis trois ans.
Prudente précaution d’ailleurs, car le mariage ne put avoir lieu aussi rapidement que les deux fiancés l’espéraient. De nouvelles difficultés surgirent bientôt, en effet, Berthe étant la cousine de Robert au troisième degré, et l’Église interdisant formellement toute union entre parents. Il fallut demander une dispense au pape. Celui-ci fut catégorique :
— Le roi de France est un chrétien comme les autres. Il doit se soumettre à la loi commune.
Des évêques indulgents aux faiblesses humaines (et royales) allèrent à Rome avec l’espoir de fléchir le souverain pontife. Grégoire V refusa de les recevoir.
Enfin, après un an de pourparlers, Robert, que la passion rendait décidément audacieux, brava les défenses de l’Église, épousa Berthe et parvint même à décider un archevêque, celui de Tours, à célébrer son mariage…
Le pape Grégoire V, en apprenant qu’on lui avait désobéi, entra dans une sainte colère. Il réunit en 996, à Pavie, un synode où fut décrété ce qui suit : « Le roi Robert, qui, malgré l’interdiction apostolique, a épousé sa parente, doit se rendre auprès de Nous pour Nous donner satisfaction, de même que les évêques qui ont autorisé ces noces incestueuses ; s’ils refusent de venir, qu’ils soient privés de la communion. »
Une telle menace, quatre ans avant ce fameux an mil que certains moines exaltés présentaient comme devant marquer la fin des temps, était très grave.
Pour essayer d’amadouer le pape, Robert envoya à Rome un ambassadeur réputé pour son habileté.
— Nous avons certaines affaires en litige avec le Saint-Siège, dit-il ; assurez Grégoire V que je lui donnerai
Weitere Kostenlose Bücher