Les Amours qui ont fait la France
garda près de lui l’onduleuse Bertrade.
— Je veux que le pape sache que l’amour est plus puissant que lui, dit-il.
C’était accepter d’un cœur léger bien des ennuis ; car, dès lors, la vie des deux époux devint fort compliquée et même franchement désagréable. Lorsqu’ils arrivaient dans une ville, les services religieux cessaient immédiatement, et les habitants regagnaient en courant leur demeure, pour y prier tous volets clos. Les excommuniés se promenaient alors dans des rues vides où leur parvenait par instants la rumeur des oraisons tristes que les braves gens récitaient à leur intention. Finalement ils s’en allaient, et les cloches aussitôt se remettaient en branle pour rappeler les fidèles cachés dans leurs maisons. En entendant ces carillons, Philippe essayait de plaisanter :
— Entends-tu, ma belle, disait-il, comme ils nous chassent en musique ?
Au bout de quelque temps, le roi, las de vivre comme un pestiféré, informa le pape qu’il s’engageait cette fois sincèrement à n’avoir plus aucune relation coupable avec Bertrade. Convoqué à Paris, il dut prononcer le serment suivant, la main sur les Évangiles : « Moi, Philippe, roi de France, je renonce à ma faute ; je n’aurai plus avec Bertrade aucun commerce illicite ; je ne la verrai plus qu’en présence de personnes non suspectes. Avec l’aide de Dieu, je serai fidèle à mes engagements. »
Bertrade fit le même serment, et tous les deux furent absous.
Hélas ! leur passion était si grande qu’un mois ne s’était pas écoulé qu’ils se retrouvaient tous les deux dans le même lit…
Cette fois, le pape, fatigué d’intervenir, ferma les yeux. Il est vrai qu’en lutte contre l’empereur d’Allemagne, il avait alors besoin de l’appui du roi de France…
L’influence de Bertrade sur Philippe fut désastreuse. Suger nous dit : « Depuis qu’au détriment des droits de sa femme légitime Philippe s’était uni à la comtesse d’Anjou, il ne faisait plus rien qui fût digne de sa majesté royale ; entraîné par sa passion désordonnée pour cette femme qu’il avait enlevée, il ne connaissait d’autre soin que de se livrer à la volupté, ne pourvoyant à aucun des besoins de l’État, et, s’abandonnant aux plaisirs plus qu’il ne fallait, ne ménageait pas même la santé de son corps. »
Nous avons vu que ce roi véritablement ensorcelé par sa belle n’avait pris aucune part à la première croisade. Plus tard, il ne fit rien pour défendre son fils, le futur Louis le Gros, contre Bertrade. Celle-ci haïssait le jeune prince, car elle voulait que ce fût son fils à elle [42] qui héritât la couronne de France. Un jour, elle fit absorber à Louis une dose massive de poison dont il ne réchappa que par miracle…
À plusieurs reprises, d’ailleurs, elle tenta de faire assassiner ce gros garçon qui la gênait. Sans doute eût-elle finalement réussi, si Philippe n’était pas mort brusquement en 1108. Chassée immédiatement du palais, Bertrade se retira au couvent de Fontevrault où elle termina ses jours de façon fort édifiante [43] …
11
Aliénor fut victime des nuits d’Orient
À Antioche, l’incontinence de cette femme
fut publique. Elle se conduisit, non comme une reine,
mais comme une fille commune.
Albéric, moine du XII e siècle.
Un matin de 1137, dans le jardin du château de Bordeaux, une ravissante jeune fille, dont la poitrine commençait à se dessiner agréablement, était en train de filer la laine.
C’était Aliénor, l’héritière de Guillaume VIII de Poitiers, duc d’Aquitaine, l’un des plus puissants seigneurs de France.
Elle n’avait, pour l’heure, que quatorze ans, mais l’éclat de ses yeux verts possédait un tel magnétisme que les chevaliers ne pouvaient la regarder sans se sentir fort troublés, et que certains troubadours avaient déjà composé pour elle des vers enflammés où ils lui disaient, sous le couvert d’un langage précieux, tout le plaisir qu’ils auraient à la mettre dans leur lit.
Ces hommages la ravissaient, car, de son côté, elle commençait à considérer les hommes avec un intérêt à peine dissimulé.
Un soir, elle avait même écrit, sur l’un de ses amoureux-poètes, une petite chanson dont l’audace avait plu à son destinataire.
Ce n’étaient encore là que jeux de l’esprit et de l’imagination, mais qui faisaient prévoir un tempérament ardent.
Il est vrai
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