Les Amours qui ont fait la France
palais et se montra immédiatement fort galant avec sa nièce…
Or la pauvre reine, que Louis laissait dormir seule depuis le départ de France, commençait à ressentir les effets aphrodisiaques du climat.
Une nuit, alors qu’elle ne parvenait point à dormir, un homme pénétra dans sa chambre. Sans même lui demander qui il était, elle lui ouvrit son lit…
Cet amant mystérieux la quitta avant l’aube, la laissant épuisée et heureuse. Était-ce un Turc, comme le prétendent certains historiens [46] , un croisé qui n’avait pu résister, cette nuit-là, au désir qu’il avait d’elle, ou simplement l’oncle Raymond ? Mystère !
Quoi qu’il en soit, le lendemain, Aliénor eut un air bizarre qui éveilla les soupçons du roi. Il décida de la surveiller. Or le prince Raymond avait, de temps à autre – et en particulier –, de longues conversations avec sa nièce. Il espérait user de l’influence énorme qu’elle avait sur Louis pour obtenir que l’armée des croisés l’aidât à défendre ses intérêts en Syrie. Un soir qu’il lui parlait de ses affaires, peut-être en la serrant d’un peu près, le roi entra brusquement dans la pièce.
Son premier mouvement fut de se jeter sur Raymond ; mais Aliénor s’interposa.
— Tu défends ton amant ! cria Louis.
— Non, dit Aliénor, j’empêche le roi de France de se battre comme un garde d’écuries…
— Une reine qui se conduit comme une fille publique, répliqua le roi, n’a aucune leçon à me donner. Elle n’a qu’à obéir ! D’ailleurs nous partirons dès demain pour Jérusalem. Nous avons respiré, depuis trop longtemps déjà, l’air malsain d’Antioche !
Les yeux verts d’Aliénor étincelèrent.
— Pars si tu veux, dit-elle, moi, je reste ici !…
Louis fut stupéfait.
— Tu oublies que tu es ma femme…, dit-il.
Puis il ajouta en la regardant droit dans les yeux :
— Il me semble même que, depuis quelque temps, tu l’oublies trop facilement.
Aliénor soutint le regard de Louis.
— C’est peut-être parce que tu l’oublies toi-même, dit-elle. Ce n’est pas un roi que j’ai épousé, c’est un moine [47] .
Ce dernier mot rendit Louis furieux. Il se mit à hurler :
— Femme vicieuse ! Race du diable ! Famille de chiens et d’incestueux !
Fort gêné, le prince Raymond, debout dans un coin de la pièce, restait silencieux.
— L’inceste ? ricana Aliénor. Tu sembles t’y complaire assez bien.
Le malheureux Louis, qui était la chasteté même, fut effaré.
— Quoi ?
— Tu ignores, mon pauvre ami, que nous sommes parents à un degré qui interdit le mariage. Notre union est donc incestueuse et notre lit sacrilège [48] .
Louis était très respectueux des règlements de l’Église. Il baissa la tête.
— Parfait, dit-il. Dans ce cas, nous allons divorcer.
— C’est tout ce que je demande, répondit Aliénor.
N’ayant, dès lors, plus rien à se dire d’important, Aliénor et Louis rentrèrent dans leurs appartements respectifs.
Mais le roi était plus décidé que jamais à quitter Antioche. Craignant que Raymond ne s’opposât par la force au départ d’Aliénor, il résolut de partir nuitamment. Il réunit quelques chevaliers et leur exposa son plan. On prépara en silence les bagages et les chevaux, puis deux hommes furent chargés d’enlever la reine qui dormait – seule, cette nuit-là, heureusement.
À l’aube, le groupe de Français était déjà bien loin d’Antioche, sur la route de Jérusalem…
Pendant quelques jours, Aliénor, qui regrettait probablement les nuits voluptueuses d’Antioche, resta plongée dans un mutisme agressif.
Puis elle consentit à parler au roi. À Jérusalem, elle voulut bien lui sourire. Louis, qui avait été profondément blessé par les reproches touchant sa virilité, en profita pour aller la retrouver, le soir même, dans son lit.
Il fut accueilli, si j’ose dire, à bras ouverts…
Mais cette nuit de plaisir ne changea rien aux intentions du roi, qui écrivit à l’abbé Suger (régent du royaume en l’absence de Louis VII) pour lui annoncer qu’il voulait divorcer.
Suger était un fin politique. Il pensa avec effroi que, si les souverains divorçaient, Aliénor reprendrait l’immense territoire qu’elle avait apporté en dot. En outre, ce qui était plus grave encore, elle pouvait fort bien, à vingt-cinq ans, se remarier et donner une puissance considérable à un ennemi du roi de
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