Les Amours qui ont fait la France
que la gracieuse Aliénor avait de qui tenir, puisque son grand-père, le troubadour Guillaume VII de Poitiers, s’était rendu célèbre en son temps par une grande « démangeaison d’amour ». Au point qu’un chroniqueur avait résumé sa vie en une phrase savoureuse : « Il courut longtemps le monde pour suborner les dames… »
Aliénor connaissait toutes les chansons de son grand-père, même les plus gaillardes, celles que le joyeux paillard avait composées pour conserver le souvenir de certaines nuits d’amour particulièrement exténuantes…
Mais ce matin-là, elle n’avait pas le cœur à chanter. Tout en filant la laine, elle pensait à son père parti depuis un mois faire un pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle, et dont elle s’ennuyait.
« Pour son retour, nous composerons une chanson avec ma sœur », pensa-t-elle.
Et cette idée la réjouit.
Tout à coup, trois hommes apparurent dans le jardin et s’approchèrent de la jeune fille. L’un d’eux était Geoffroy III, archevêque de Bordeaux. Ils avaient un air triste qui inquiéta Aliénor. Quand ils furent devant elle, ils s’agenouillèrent en pleurant.
— Madame, dit Geoffroy, nous avons une male nouvelle à vous apprendre.
— Mon père ? dit Aliénor.
L’archevêque baissa la tête.
— Il était tombé gravement malade sur la route, dit-il, et a trépassé avant d’arriver à Saint-Jacques !
Aliénor cacha son visage dans ses mains et sanglota.
— Vous êtes maintenant duchesse d’Aquitaine, dit encore Geoffroy, et c’est pourquoi nous sommes venus vous rendre hommage [44] .
Ayant baisé le bas de sa jupe, les trois hommes se relevèrent.
— Avant de mourir, ajouta le prélat, votre père a eu le temps de faire connaître ses dernières volontés. Celles-ci engagent votre avenir, madame, nous devons vous en informer.
Et l’homme d’Église expliqua à la jeune duchesse que Guillaume de Poitiers, craignant que son duché ne fût la proie de quelque baron sans scrupules, avait envoyé des ambassadeurs en Île-de-France pour demander au roi Louis VI de prendre ses deux héritières, Aliénor et Allix, sous sa protection.
— Votre père a fait plus encore, dit l’archevêque, il a chargé ses envoyés de dire au roi que le dernier vœu qu’il formait avant de mourir était que vous épousiez son fils Louis le Jeune [45] …
En entendant ces paroles, l’adolescente blêmit. Épouser un homme du Nord lui faisait, certes, un peu peur, mais la pensée d’être un jour reine de France lui donnait le vertige…
— Croyez-vous que le roi acceptera ? demanda-t-elle.
Les trois hommes eurent un léger sourire.
— Je puis vous garantir que vous serez reine, dit le prélat.
Aliénor se leva.
— Allons prier, dit-elle simplement.
Lorsqu’il fut informé du désir de Guillaume de Poitiers, Louis VI ne se sentit plus de joie. Marier son fils à la puissante héritière d’Aquitaine était une véritable aubaine. En effet, le territoire appartenant à Aliénor représentait presque le tiers de la France, puisqu’il comportait l’Auvergne, le Poitou, la Marche, le Limousin, l’Angoumois, la Saintonge, le Périgord, la Gascogne et la Guyenne.
Bien qu’il fût précisé que le duché ne serait pas rattaché au domaine royal et que le futur roi de France n’aurait que le titre de duc d’Aquitaine, il sembla à Louis le Gros que c’était une étape importante vers l’unité nationale. Aussi accepta-t-il le mariage sans poser de condition.
Quelques semaines plus tard, l’héritier de la couronne arrivait à Bordeaux. Âgé de dix-sept ans, il avait de beaux cheveux blonds, des yeux bleus, un air candide. Il plut aussitôt à Aliénor, qui l’attendait avec un peu d’inquiétude. Elle lui sourit, et ses yeux brillèrent si étrangement qu’il en fut comme électrisé.
Bref, ce fut, de part et d’autre, le coup de foudre.
Le surlendemain, le mariage était célébré dans la basilique de Saint-André à Bordeaux.
Tout de suite après la cérémonie, les jeunes époux partirent pour Paris où les attendait Louis VI. On assure même que leur nuit de noces n’eut pas lieu à Bordeaux, mais quelque part sur la route de Poitiers… Hélas ! le jeune Louis n’avait aucune expérience et Aliénor dut, paraît-il, lui donner quelques renseignements sur la marche à suivre pour mener à bien l’opération… En apprenant ce qu’elle attendait de lui, le pauvre, qui était la
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