Les Amours qui ont fait la France
reine de France tout comme s’il se fût agi d’une simple bergère [41] …
Anne, précisons-le tout de suite, ne songea pas à pousser un seul cri de détresse. Au contraire, elle souriait, la joue contre la poitrine de son cher comte. Et, si quelqu’un lui avait demandé à ce moment ce qu’elle pensait de cet enlèvement, il est certain qu’elle eût murmuré la seule phrase qui convînt d’ailleurs en pareille circonstance :
— Je suis ravie !…
Raoul l’emmena à Crépy-en-Valois, où un prêtre complaisant – à moins qu’il ne fût terrorisé – les maria aussitôt.
L’enlèvement de la reine et son mariage semi-clandestin causèrent un grand scandale dans tout le royaume. Les braves gens s’indignèrent, disant, avec raison, d’ailleurs, que les petits princes avaient encore besoin de leur mère, que celle-ci les avait abandonnés sans l’ombre d’un regret pour suivre un homme marié, et qu’elle se trouvait présentement coupable d’adultère, trois ans après la mort du roi Henri.
— Elle n’a pas plus de dignité qu’une chienne, disait-on.
— Quant au comte Raoul, on devrait l’excommunier…
Pendant quelque temps, les deux amoureux ne furent pas au courant des bruits fâcheux qui couraient sur leur compte. Indifférents à l’émotion que leur conduite pouvait susciter, ils passaient la plus grande partie de leur temps couchés, occupés à satisfaire leur passion réciproque avec une belle fougue…
Mais un jour Haquenez, dans son couvent, apprit pour quelles raisons elle avait été répudiée. Justement indignée contre Raoul, elle entreprit de se défendre et, comme elle n’hésitait pas à employer de grands moyens, elle se rendit à Rome pour se plaindre au pape Alexandre II.
Le Saint-Père l’accueillit avec bonté, écouta le récit de ses malheurs et se contenta de lui dire d’un ton doucereux :
— Je vous conseille de rentrer en France, ma fille, car vous voilà bien inutilement loin de tout ce qui vous est cher…
Et la pauvre Haquenez, le cœur amer, repartit vers son couvent.
Le pape, pourtant, avait été ému. Il chargea Gervais, archevêque de Reims, d’effectuer une enquête et, lorsqu’il eut confirmation des faits, il enjoignit Raoul de se séparer de la reine et de reprendre sa Haquenez. Naturellement, le comte refusa. Alors le pape l’excommunia et déclara son mariage nul.
Cette sentence, disons-le tout de suite, ne troubla pas la lune de miel des deux amoureux. Bravant les foudres de Rome, ils jurèrent de ne jamais se séparer…
Ils tinrent d’ailleurs parole.
Indifférents à l’hostilité du peuple, ils voyagèrent ensemble dans le royaume, se cachant si peu, montrant une telle absence de remords, qu’on finit par admettre leur union. Au bout de quelques années d’ailleurs, le roi Philippe trouva sage de se réconcilier avec eux, et Raoul fut même admis à la cour…
Anne y reparut à son tour avec le titre de reine mère quand le comte mourut, en 1074. On eut pour elle le plus grand respect, et elle régna sur le palais. Mais elle ne s’occupa point des affaires de l’État.
Certains historiens ont prétendu qu’elle était retournée l’année suivante en Russie pour y mourir. On se demande ce que cette vieille dame serait allée faire dans un pays où elle ne connaissait plus personne. En réalité, la reine Anne est morte en France, probablement vers 1076, et l’on pense qu’elle fut inhumée à l’abbaye de Villiers, près de La Ferté-Alais.
10
« Enlevez-moi », dit Bertrade,
et la France fut frappée d’interdit
Il y a des femmes qui traversent la vie comme
ces souffles de printemps qui vivifient
tout sur leur passage.
M me Necker
Une interminable pluie d’automne tombait sur Orléans. La petite ville fortifiée, qui était, en cette fin du VI e siècle, la résidence préférée des rois de France, n’avait certes pas un aspect très riant. Une eau noirâtre dégoulinait à grand bruit de tous les toits, et la chaussée n’était qu’un lac de boue.
Aussi, dans les rues, où le vent du val de Loire s’engouffrait par moments, faisant claquer les volets, arrachant les enseignes, tournant la tête aux girouettes, on aurait cherché en vain un seul Orléanais.
Tous les habitants et les guetteurs eux-mêmes, qui auraient dû se trouver à leurs postes aux coins des remparts, étaient, pour l’heure, serrés devant des cheminées où brillaient de grands feux de
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