Les Amours qui ont fait la France
Auguste pensa que son oncle avait raison et qu’il était judicieux de tenter une ultime expérience… C’est pourquoi il se dirigeait, en cette fin d’après-midi de juin 1193, vers l’endroit où se trouvait enfermée la malheureuse reine de dix-huit ans.
Arrivé devant le couvent, il descendit de cheval, se tourna vers le groupe d’amis qui l’avait accompagné et dit d’un ton sec :
— Priez !
Puis il entra rapidement dans la tour où se lamentait Ingeburge…
Aussitôt, les chevaliers mirent pied à terre et, sans la moindre pensée grivoise, commencèrent à prier pour que le roi de France pût enfin dévirginiser la reine…
Un très long temps s’écoula, et les amis de Philippe Auguste se prirent à espérer. Soudain, la porte s’ouvrit, et le roi parut. Il était dans un état de nervosité extrême. Son visage livide ruisselait de sueur. Ses mains tremblaient.
Les chevaliers, interdits, n’osaient ni bouger, ni prononcer une parole. Ils considéraient leur souverain avec une immense émotion.
« Elle lui aura encore noué l’aiguillette », pensèrent-ils tristement.
Le roi s’approchait d’eux, les jambes vacillantes. Au moment de remonter à cheval, il se laissa aller à un violent mouvement de colère. Serrant les poings, les yeux exorbités, le corps entièrement agité d’un tremblement convulsif, il se mit à crier :
— Rien à faire ! Rien à faire ! Cette femme est vraiment ensorcelée…
Puis il eut une crise de nerfs, suivie d’un long moment de prostration…
Dès le lendemain, le nouvel échec du roi était connu de tout Paris, et chacun faisait des commentaires.
— Pour que le roi ne puisse point, disaient les uns, il faut que la reine ait quelque défaut caché. Peut-être bien une peau de lézard…
— Ou des écailles de poisson sur le ventre, comme cela s’est déjà vu, disaient les autres.
— Ouais ! Ouais ! ricanaient les commères. À moins que notre gentil souverain n’ait eu quelque mauvaise surprise en voulant dépuceler la reine…
— Et quoi donc par exemple ?
— Par exemple ? Eh bien ! de voir que sa virginité était restée au Danemark…
Cette dernière supposition, que l’on répéta bientôt, fut un jour émise sur la montagne Sainte-Geneviève où elle suscita la colère des étudiants danois. Des bagarres s’ensuivirent entre ceux qui croyaient à la virginité de la reine et ceux qui la disaient envolée depuis longtemps. Et l’on se demanda un moment si le roi de Danemark n’allait pas déclarer la guerre à la France.
Pendant ce temps, Philippe Auguste faisait activer les préparatifs du procès en annulation, et, le 5 novembre, un concile composé de prélats et de barons se réunissait à Compiègne. Il eût été facile de casser le mariage pour non-consommation. Cela parut, sans doute, humiliant au roi. On utilisa un autre argument, inattendu en vérité : des ecclésiastiques dénués de scrupules étaient parvenus à établir qu’il existait un lien de parenté entre Ingeburge et… Ysabelle de Hainaut, la première épouse de Philippe Auguste, et qu’en conséquence le second mariage était incestueux…
La jeune reine, que l’on avait extraite sans explications de son cachot, ne soupçonnait rien de cette machination. Elle était assise sur un trône devant l’assemblée et se demandait ce qu’on lui voulait encore. Comme elle ignorait la langue française, elle ne put saisir le sens des débats, et son regard de bête traquée se posait sur tous ces inconnus qui parlaient gravement en la désignant parfois. Désespérément, elle essayait de comprendre ce qui allait lui arriver…
Elle le sut bientôt. Brusquement, en effet, toute l’assemblée se leva, et un évêque vint lui dire, au moyen d’un interprète, que son mariage était annulé. Comme il commençait à lui donner les raisons invoquées par le concile, elle fondit en larmes et cria :
— Mala Francia ! (Mauvaise France !)
Puis elle se leva et dit avec énergie :
— Roma ! Roma !
Le légat du pape, qui était présent, blêmit. Il avait accepté de prononcer cette annulation parce qu’il pensait qu’Ingeburge se soumettrait sans protester. Mais le dernier cri qu’elle venait de pousser l’inquiétait. Si elle en appelait à Rome, il était à craindre que le pape n’exigeât une enquête sérieuse…
Le soir même, Philippe Auguste, conseillé par le légat, faisait conduire Ingeburge à l’abbaye de
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