Les Amours qui ont fait la France
vœu.
— Lequel ?
— J’ai promis à Dieu d’aller en croisade si je guérissais.
La reine mère crut défaillir. Malgré sa foi, elle tenta de dissuader le roi d’accomplir son vœu. Pour toute réponse, Louis se fit coudre la croix sur sa chemise. Alors, Blanche chargea un évêque de le raisonner.
— Sire, dit celui-ci, déposez la croix pour ne pas bouleverser la France. Vous étiez en délire ; vous n’aviez point l’usage de vos sens. Votre vœu ne vous lie donc pas.
Louis, qui attendait depuis longtemps cette occasion de partir avec Marguerite, se garda bien de changer d’avis.
Il fit fortifier le port d’Aigues-Mortes, commanda des galères à des armateurs génois, réunit l’argent nécessaire à l’expédition et en juin 1248, après avoir remis à Blanche la régence du royaume, il quitta Paris en compagnie de sa femme, de ses deux frères et d’une foule de chevaliers qui se croisaient avec lui.
La reine mère suivit les pèlerins jusqu’à l’abbaye de Cluny. C’est là qu’elle fit en pleurant ses adieux à Louis IX. Après quoi, la troupe, précédée de l’oriflamme de Saint-Denis, prit la route de Lyon…
— Enfin seuls ! soupira Marguerite de Provence qui, jusqu’au dernier moment, avait subi la jalousie de sa belle-mère.
Elle ajouta en souriant :
— Comme nous allons être heureux…
Hélas !
Lorsque les Croisés arrivèrent en Provence, Marguerite éprouva une joie très vive. Il y avait près de dix-huit ans qu’elle n’avait pas revu son pays et son soleil.
— Écoutez le chant des cigales, disait-elle à Louis IX, il a bercé mon enfance…
Souriante, heureuse, elle oubliait les couloirs sombres du Louvre, hantés par la silhouette terrible de Blanche de Castille. Il lui arrivait même parfois de fredonner une sautillante chanson de troubadour.
De son côté, Louis IX, qui, pour la première fois de sa vie, goûtait à la liberté, se sentait le cœur léger et considérait Marguerite avec une tendresse nouvelle.
Le soir, ils se retrouvaient dans des chambres dont les fenêtres restaient ouvertes sur les nuits chaudes de juillet, et leurs étreintes les laissaient essoufflés jusqu’au matin.
Ils firent, dans ce domaine, tant d’imprudentes prouesses, qu’avant d’arriver à Aigues-Mortes, où devait avoir lieu l’embarquement, Marguerite se trouva enceinte…
Louis IX craignit que la reine ne pût supporter les inconvénients d’un voyage en mer. Comme l’époque n’était pas à la précipitation et qu’on prenait facilement son temps pour faire les choses, il lui demanda si elle préférait qu’on attendît qu’elle eût accouché pour quitter la France.
— Non, non, dit Marguerite, vous êtes bien bon, mon seigneur, mais je ne veux pas retarder cette expédition et, de plus, j’ai grande hâte d’aller avec vous dessus la mer…
L’embarquement eut donc lieu, et Joinville, qui suivait le roi, nous conte les péripéties de son départ avec une naïveté savoureuse : « Nous entrâmes au mois d’août en la nef [le bateau] et fut ouverte la porte pour faire entrer nos chevaux, ceux que nous devions mener outremer. Et, quand tous furent entrés, la porte fut reclose et estoupée ainsi comme l’on voudrait faire d’un tonneau de vin parce que, quand la nef est en grande mer, toute la porte est dans l’eau. Alors le maître de la nef s’écria à ceux qui étaient au bec [à la proue] : « C’est votre besogne preste. Sommes-nous à point ? » Et ils dirent que oui vraiment. Et, quand les prêtres et clercs furent entrés, il les fit tous monter au château de la nef et leur fit chanter, au nom de Dieu, qu’il nous voulût bien conduire. Et incontinent le vent s’entonna dans la voile, et bientôt nous fit perdre la terre de vue. Si tant que nous ne vîmes plus que le ciel et la mer. Et, chaque jour, nous nous éloignâmes du lieu dont nous étions partis. »
La plupart des croisés qui s’étaient embarqués sur les cinquante bateaux de la flotte royale n’avaient jamais navigué. Le roulis et le tangage leur causèrent une grande frayeur qui les rendit malades et honteux. Louis IX et Marguerite, eux-mêmes, n’étaient pas très rassurés. Quant à Joinville, il nous dit : « Celui-ci est bien fol qui a quelque péché mortel en son âme et qui se boute en un tel danger. Car, si on s’endort au soir, l’on ne sait si on se trouvera le lendemain au fond de la mer. »
Au bout d’une
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