Les Amours qui ont fait la France
partirait le lendemain sous sa direction pour prendre Mansourah, ville située sur la route du Caire.
Cette campagne fut désastreuse. Les croisés s’étant trouvés, dès le début, arrêtés par le débordement du Nil, Louis fit installer un camp près du fleuve et décida de construire une digue. On vit alors les chevaliers, et le roi lui-même, quitter leur armure et se transformer en terrassiers.
Ils n’eurent pas le temps de terminer l’ouvrage. Les Sarrasins vinrent les attaquer et utilisèrent pour la circonstance une arme que les Français ne connaissaient pas et qui les terrifia : le feu grégeois. C’était une préparation de soufre et de bitume enfermée dans de petits pots de terre qui était lancée au moyen d’une arbalète et qui s’enflammait immédiatement en laissant derrière elle une longue traînée lumineuse.
« Il semblait, dit Joinville, qui relate un de ces “bombardements” nocturnes, qu’un dragon volât par l’air et tant jetait clarté qu’on voyait parmi l’ost [armée] comme s’il fût jour. »
Louis IX était moins lyrique que son sénéchal. Il se contenta de juger « discourtoise » cette arme qui jetait la terreur dans les rangs français…
Avant que la chaussée à laquelle travaillaient les croisés ne fût terminée, les eaux du Nil baissèrent, et une partie de l’armée put se lancer sur les Sarrasins qui prirent la fuite. Une folle poursuite s’engagea jusqu’à Mansourah, où de sanglants combats eurent lieu, au cours desquels le comte d’Artois, frère du roi, trouva la mort.
Alors, Louis IX songea à retourner à Damiette où l’attendait Marguerite. N’était-ce pas pour être près d’elle qu’il était parti de France ?
Par un fâcheux contretemps, les croisés, qui se nourrissaient de poissons engraissés par les cadavres que l’eau ne cessait de charrier, tombèrent gravement malades, et la retraite fut interrompue. Le roi, l’un des premiers, épuisé par la dysenterie, dut s’aliter. La colonne s’arrêta dans un petit village nommé Kiarcé, où les Sarrasins ne furent pas longs à apparaître. Incapables de combattre, les chrétiens se rendirent…
Saint Louis, pour avoir voulu connaître la liberté d’aimer sa femme, était prisonnier des infidèles.
Pendant ce temps, à Damiette, la reine, qui était tout près du terme de sa grossesse, vivait dans la terreur et croyait voir à tout moment les Sarrasins entrer dans la ville. La nuit, on l’entendait crier : « À mon aide ! À mon aide ! », car, dans l’excès de sa frayeur, il lui semblait, au plus léger bruit, que l’ennemi pénétrait dans le palais. Pour la rassurer, on fit veiller près d’elle un chevalier, moult âgé et ancien qui avait bien quatre-vingts ans, et, quand la reine s’écriait : « Les Sarrasins ! Les Sarrasins ! » – « Dame, lui disait-il, n’ayez pas peur, je suis là. » Un soir (on savait alors depuis trois jours que le roi était captif), la reine fit sortir tous ceux qui étaient dans sa chambre et se mit à genoux auprès du bon chevalier.
— Sire chevalier, lui dit-elle, j’ai une grâce et un don à requérir de vous, c’est que, si les Sarrasins entrent, vous me coupiez la tête.
— Madame, répondit gentiment le chevalier, le cas y échéant, je le ferai, car déjà j’y avais songé [78] .
Le lendemain, la reine mit au monde un enfant né au milieu des craintes et des larmes et que l’on prénomma Jean-Tristan, « à cause du triste temps où elle se trouvait ». Presque aussitôt, on vint lui dire que les croisés italiens, qui étaient restés dans Damiette pour assurer la garde de la ville, parlaient de se retirer. Toute la cité était en tumulte. Marguerite, qui voulait utiliser Damiette comme monnaie d’échange pour libérer le roi, fut affolée. Elle convoqua les chevaliers italiens dans sa chambre et leur parla :
— Seigneurs, on me dit que vous voulez vous en aller ; pour Dieu, je vous supplie de ne pas laisser cette ville ; car vous êtes seuls pour la défendre et mon seigneur le roi serait perdu, lui et tous ceux qui sont avec lui, si Damiette était abandonnée.
Les Italiens promirent de rester dans la cité tant qu’il y aurait des vivres.
Alors Marguerite quitta son lit et fit des prodiges pour que rien ne manquât dans la place.
Au bout de deux mois, grâce à son énergie et à son courage, Damiette pouvait être remise aux Sarrasins en échange de Louis IX [79]
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