Les années folles
il revint
à la maison. Il ignorait si c’était un effet de son imagination, mais il lui
sembla que la tempête s’essoufflait et que le vent se calmait. En tout cas, il
était certain qu’il neigeait un peu moins.
Durant tout le
souper frugal qu’il avala en solitaire, assis au bout de la table, il balança
entre la sagesse de demeurer au chaud, chez lui, à alimenter son poêle, et la
tentation de chausser ses raquettes et d’essayer de se rendre au village, chez
Agathe Cournoyer.
– Deux milles
en pleine tempête, il faudrait être fou pour faire ça, se répéta-t-il plusieurs
fois.
Toutefois,
il se sentait progressivement envahi par l’envie de prouver à la belle Gabrielle
qu’il était homme à affronter le danger pour ses beaux yeux. De plus, cela
faisait une semaine qu’il n’avait pas parlé à quelqu’un. Finalement, la
dernière bouchée avalée, il négligea d’allumer sa pipe pour sortir son miroir, son
blaireau et son rasoir dans l’intention de se raser pour la seconde fois de la
journée. Ensuite, il fit une toilette rapide avant de passer une chemise et des
chaussettes propres.
En passant devant une fenêtre, il se refusa à regarder à l’extérieur. Il
endossa son manteau le plus chaud et coiffa sa tuque avant de sortir à l’extérieur
où une violente bourrasque de neige l’accueillit. Germain remonta le col de son
manteau et se dirigea vers la remise pour prendre sa paire de raquettes
suspendue à un clou.
Quelques instants
plus tard, il referma la porte du bât iment
et il traversa sa cour, chaussé de ses raquettes et le visage protégé par une
large écharpe de laine. Seul au milieu de la tourmente, il s’engagea dans le
rang Sainte-Marie, fouetté par les rafales de vent qui charriaient des flocons
à l’horizontale.
– Deux milles,
c’est tout de même pas le bout du monde, se dit le jeune cultivateur en
avançant péniblement contre le vent. Si je suis trop gelé, je m’arrêterai quelque
part à mi-chemin, chez les Tougas, par exemple.
Tout
en se tenant un long monologue dans lequel il se répétait ce qu’il avait envie
de dire à Gabrielle ce soir-là, il progressait lentement sur la route enneigée.
Il faisait encore si mauvais qu’à aucun moment, il ne parvint à voir la moindre
lueur de fanal ou de lampe à huile dans l’une des maisons du rang. En avançant,
il concentrait toute son attention à ne pas sortir de la route. Il était
conscient que se perdre en plein champ par une telle tempête pouvait signifier
la mort.
Germain Fournier
mit un peu plus d’une heure à franchir la distance entre sa ferme et la
première maison du village de Saint-Jacques-de-la-Rive.
Un peu plus tôt, au presbytère, Agathe et Gabrielle avaient fini de
laver la vaisselle du souper et elles avaient préparé la collation des deux
prêtres avant de revêtir leurs manteaux pour traverser chez elles. Une heure
auparavant, Gabrielle s’était esquivée quelques minutes pour aller rallumer le
poêle dans la petite maison blanche située de l’autre côté de la route, de
manière à ce que sa logeuse et elle ne rentrent pas dans une maison glaciale.
– Faites
attention de pas glisser, prévint Gabrielle Paré en prenant le bras de la
vieille ménagère au moment où toutes les deux s’engageaient dans l’escalier d’une
dizaine de marches du presbytère. Monsieur Groleau a eu beau venir pelleter l’escalier
deux ou trois fois depuis le commencement de la tempête, ça paraît pas.
– Une chance
qu’on a juste à traverser pour rentrer à la maison, dit la vieille servante en
s’appuyant sur la jeune fille. C’est une vraie tempête de mon jeune temps. On
voit ni ciel ni terre.
Les
deux femmes s’empressèrent de traverser la route et de s’engouffrer frileusement
dans la maison.
– Il faudrait
bien pelleter le balcon, fît remarquer Gabrielle en pensant à l’épaisseur de neige accumulée devant la porte
d’entrée.
– Ça presse
pas tant que ça, la calma Agathe Cournoyer. On est bien dans la maison. Ça peut
attendre demain matin.
Elles
retirèrent leurs manteaux et leurs bottes . Pendant
qu’Agathe s’approchait du feu, Gabrielle allongeait la mèche de la lampe à
huile, faisant ainsi reculer les coins d’ombre de la petite cuisine.
– C’est de
valeur pour Germain Fournier, se désola la vieille servante. J’ai l’impression
qu’il serait venu à soir s’il avait pas fait aussi mauvais.
– En tout cas,
il était invité,
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