Les années folles
laissa tomber Gabrielle, sans trop éprouver de regrets.
À peine la jeune fille venait-elle de
prononcer ces mots que les deux femmes sursautèrent violemment en entendant un
fort raclement en provenance du balcon.
– Veux-tu
bien me dire ce qui fait ça ! s’exclama Agathe en se précipitant vers la
fenêtre en même temps que sa jeune locataire.
– Mais c’est
Germain Fournier ! s’écria Gabrielle, stupéfaite. Il est en train de nettoyer
le devant de la porte avec la pelle laissée sur le balcon.
– Ma foi du
bon Dieu, il est devenu complètement fou d’avoir pris le chemin dans une
tempête pareille pour venir te voir !
Un
étrange sourire de satisfaction détendit les lèvres de Gabrielle avant qu’elle
fasse les quelques pas qui la séparaient de la porte.
– On dirait
bien qu’il tenait absolument à venir passer la soirée avec toi, lança la
vieille dame sur un ton narquois.
– On le
dirait, madame Cournoyer, répondit Gabrielle en ouvrant la porte au jeune homme.
Le célibataire, couvert de neige de la tête aux pieds, déposa la pelle
près de la porte, à l’extérieur, et il entra dans la maison sans se faire prier
après avoir secoué ses pieds sur le balcon pour en faire tomber la neige.
– Entre, Germain,
l’invita aimablement Gabrielle. Tu ressembles à un bonhomme de neige. Ôte ton
manteau.
Le
jeune cultivateur enleva sa tuque et déboutonna son lourd manteau. Il avait le
visage rougi par le froid. Ses doigts et ses pieds étaient gourds.
– Je voudrais
pas mettre de la neige partout, s’excusa-t-il.
– Laisse
faire, le rassura la vieille ménagère, qui était déjà retournée s’asseoir près
du poêle. C’est juste de l’eau, et de l’eau, ça sèche.
– J’espère
que t’es pas venu au village en pleine tempête juste pour nous voir, demanda
Gabrielle sur un ton faussement ingénu.
– Ben oui, reconnut
gauchement le jeune homme.
– Mais c’était
dangereux sans bon sens ! s’écria la jeune fille en laissant volontairement
poindre de l’admiration dans sa voix.
– C’est vrai,
Germain, intervint Agathe Cournoyer. T’aurais pu te perdre ou tomber dans la
tempête et jamais personne aurait su où t’étais passé.
– Oh, c’était
pas si pire que ça ! se défendit le célibataire en jouant les modestes.
– Assois-toi
à table, lui ordonna Gabrielle. Je vais te servir une bonne tasse de thé bien
chaud et un morceau de tarte aux pommes. Ça va t’aider à te dégeler.
À
la fin de la soirée, la tempête était pratiquement terminée. Il ne tombait plus
que quelques flocons et le vent avait cessé de souffler. Lorsque Germain
Fournier chaussa de nouveau ses raquettes dans l’intention de rentrer chez lui,
il poussa un soupir de soulagement. Le retour allait être cent fois plus facile
que l’aller. De plus, tout au long de la route, il avait matière à réflexion et
de sérieuses raisons de se réjouir. Il n’y avait plus d’ambiguïté possible. Gabrielle
avait accepté de le considérer comme son unique soupirant. Il n’aurait plus à
feindre de venir rendre visite à Agathe Cournoyer en même temps qu’à la jeune
fille. Il avait vraiment été bien inspiré de braver la tempête. Gabrielle
semblait avoir été enchantée de sa visite. Elle avait considéré sa venue comme
une sorte d’épreuve dont il était sorti victorieux. Quand il lui avait demandé
s’il devrait aller rencontrer le curé Lussier pour obtenir la permission de la
fréquenter, elle l’avait rassuré en lui disant qu’elle s’occuperait elle-même d’obtenir
l’accord du prêtre.
C’est donc un
homme neuf et ragaillardi qui se dirigea vers le rang Sainte-Marie à la fin de
cette soirée de janvier.
En se mettant au
lit, la jeune fille de dix-neuf ans poussa un profond soupir de contentement. Germain
Fournier était bien accroché et tout indiquait qu’il était tellement heureux d’être
devenu son cavalier qu’elle pourrait bientôt se permettre d’exiger beaucoup de
choses de sa part.
– En tout cas,
chuchota-t-elle pour elle-même, je suis certaine qu’il y a pas une fille de
Saint-Jacques qui a reçu son cavalier à soir, avec cette tempête-là.
Sur
ce point, la jeune servante du curé Lussier se trompait lourdement. Le second
voisin de Germain Fournier, Clément Tremblay, n’allait pas rater une soirée au
salon avec Céline Veilleux sous le prétexte qu’une tempête de neige sévissait
depuis le milieu de
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