Les années folles
que t’en mettes. Est-ce que c’est
clair ?
– Oui, m’man.
Au
moment où la jeune fille allait retourner au salon, sa mère se leva.
– Où tu t’en
vas ?
– Dans le
salon, m’man, et…
– Non, la coupa sa mère. Tu vas d’abord te nettoyer
le visage avec une serviette.
Furieuse, Céline
alla à l’évier et saisit une serviette avec laquelle elle se frotta
vigoureusement la bouche. Sans ajouter un mot, elle se dirigea ensuite vers le
salon.
Chapitre 17
Une bonne leçon
En
février, le froid ne relâcha pas son étreinte, mais les chutes de neige se firent
plus rares qu’en janvier. Les piquets des clôtures étaient disparus depuis longtemps
sous une épaisse couche de neige. Le paysage était uniformément blanc dans la
campagne. De loin en loin, on ne voyait qu’une cheminée qui fumait, seule trace
visible de vie. Dans le rang Sainte-Marie, la route bien damée par les fermiers
offrait une assise solide aux sleighs, aux berlots et aux lourds traîneaux
utilisés pour les déplacements.
À la mi-janvier, Eugène Tremblay et ses
deux fils avaient attendu avec une impatience croissante que la glace sur la
Saint-François épaississe suffisamment pour supporter le poids d’un attelage et,
surtout, pour être découpée. Le temps doux et le verglas tombé au début du mois
les avaient retardés sérieusement. De plus, la fortetempête de neige qui avait
suivi n’avait guère été favorable à leurs projets.
Une semaine plus
tard, quand des froids arctiques s’étaient abattus sur la région, les trois
hommes sortirent les pelles, les pinces, la tarière, les haches et les scies, et
ils les jetèrent pêle-mêle dans le traîneau avant de se diriger vers la rivière,
à la hauteur de la forge d’Adélard Crevier, là où la rive était la plus
accessible à un attelage.
Pour cette
première journée, Eugène, de la neige à mi-jambes et armé de sa tarière, s’avança
sur la rivière avec mille précautions. Il se méfiait des trous « d’eau chaude »,
comme il disait. Parvenu à une trentaine de pieds du rivage, il dégagea du pied
un petit espace et perça la glace avec sa tarière pour en vérifier l’épaisseur.
Quand il se rendit compte qu’elle avait plus d’un pied d’épaisseur, il fit
signe à Gérald et à Clément de faire descendre l’attelage. La glace était
largement en mesure d’en supporter le poids.
Les trois hommes
se mirent immédiatement à dégager avec leurs pelles un rectangle de quelques
pieds carrés. Le travail sur la rivière était autrement plus pénible que celui
auquel ils étaient habitués dans le bois. Ici, aucun obstacle ne venait empêcher
le vent de soulever la neige qui mordait cruellement la peau. Rien ne
protégeait les travailleurs du froid intense de cette journée de janvier. Lorsqu’ils
furent trop gelés, ils se mirent quelques instants à l’abri des chevaux sur le dos desquels ils avaient pris la précaution
de jeter de lourdes couvertures.
– Sacrifice
que c’est froid, se plaignit Gérald en plaquant ses deux mains sous ses
aisselles.
– C’est pas
grave, fit son père, c’est parce qu’on est pas encore habitués. Dans une couple
de jours, on s’en rendra plus compte. En attendant, on est mieux de pas s’arrêter
trop longtemps. C’est en travaillant qu’on va se réchauffer le mieux.
– Qu’est-ce
qu’on va faire avec les blocs qu’on va découper aujourd’hui ? demanda
Clément en déposant la tarière avec laquelle il venait de percer un autre trou
dans la glace.
– Ceux-là, on
va les rapporter à la maison, décida son père. On va d’abord commencer à faire
notre propre provision de glace avant de servir les autres.
Les
trois hommes retournèrent sans tarder au travail. Ils percèrent la glace et
agrandirent les premiers trous avec leurs haches avant de se mettre à scier des
blocs d’environ deux pieds carrés. Ils hissaient ensuite péniblement les blocs
hors de l’eau avec leurs pinces, puis les déposaient les uns après les autres
sur le traîneau. Quand ce dernier fut rempli, Eugène donna le signal du départ.
Mais avant de partir, il prit la précaution d’aller couper sur la berge
quelques branches de sapinage qu’il planta dans la neige autour du trou que ses
fils et lui avaient fait dans la glace. Il n’était pas question de prendre le
risque que quelqu’un y tombe.
– On pourrait
peut-être s’arrêter un peu à la forge avant de revenir à la maison, p’ pa,
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