Les années folles
après
le déjeuner, le cultivateur chargea Jean-Paul et Léo de nettoyer l’étable et il
partit avec ses fils Jérôme et Adrien pour le boisé situé au bout de sa terre, dans
l’intention d’aller bûcher. Adrien n’avait jamais accompagné son père dans le
bois en hiver et il n’avait pas cessé de le harceler pour qu’il l’amène avec
lui ce matin-là. Le petit garçon de neuf ans lui avait promis de se rendre
utile.
– On
attellera pas à matin, annonça Ernest à ses deux enfants. On va faire comme
hier, on va bûcher cet avant-midi et cet après-midi, et on y retournera plus
tard avec le traîneau pour rapporter le bois.
Sur
ces mots, le cultivateur et ses fils prirent leurs raquettes qu’ils ne chausseraient
que dans le bois et se dirigèrent vers le boisé très visible de l’arrière de l’étable.
Le chemin bien balisé et tapé par le va-et-vient presque quotidien du traîneau
et des chevaux depuis le mois de décembre ressemblait à un large sillon à
travers le champ s’étendant devant eux.
Ce matin-là, le ciel ne présentait que quelques nuages poussés vers l’est
par le vent, celui-là même qui soulevait de légers tourbillons de neige autour
des marcheurs.
– Monsieur
Tremblay s’en va bûcher lui aussi avec Clément, Gérald et monsieur Pierri, fit
remarquer Jérôme à son père en pointant son doigt vers la terre voisine où un
attelage se dirigeait à pas lents vers la forêt.
– Je suis pas
aveugle, laissa tomber Ernest Veilleux en ne se donnant même pas la peine de
regarder dans la direction indiquée par son fils.
Lorsque
les Veilleux arrivèrent à l’orée du boisé, ils chaussèrent leurs raquettes
avant de s’engager au milieu des arbres. S’ils n’avaient pas pris cette
précaution, ils se seraient enfoncés dans la neige jusqu’aux genoux. Dans l’air
froid de ce matin de mars, ils entendaient presque clairement la voix d’Eugène
Tremblay qui, pourtant, se trouvait à quelques arpents d’eux. Après avoir
parcouru une quarantaine de pieds, Ernest indiqua à Jérôme deux ou trois pins qu’il voulait le voir abattre.
– Crie au cas
où je serais proche quand tu seras prêt à faire tomber le premier, prit-il la
précaution de lui dire avant de s’éloigner en compagnie d’Adrien. Moi, je vais
m’occuper d’un érable malade un peu plus loin. Ça sert à rien de le laisser
debout. Il donnera plus de sirop. Il a l’air mort. Je vais t’avertir quand il
sera prêt à tomber.
Ernest
Veilleux s’éloigna lentement sur la droite, laissant derrière lui l’adolescent
donnant déjà ses premiers coups de hache au pin.
Arrivé devant l’érable malade, Ernest prit la peine de prévenir le
petit Adrien.
– Tu vas te
tenir loin en arrière de moi pendant que je bûche, expliqua-t-il. Quand l’arbre
sera à terre, tu t’occuperas des branches que j’aurai coupées. T’auras juste à
en faire une pile.
L’enfant
acquiesça et s’éloigna de plusieurs pieds de son père. Quelques instants plus
tard, les coups de hache du père répondaient à ceux de Jérôme et lui faisaient
contrepoint. L’expérience de l’homme ne l’avait pas trompé : l’érable
était bel et bien mort, mort au point que son cœur était pourri. Par conséquent,
le bois de l’arbre fut beaucoup plus facile que prévu à entamer à la hache.
Bien campé sur ses
raquettes, Ernest s’attaqua d’abord à un côté du fût, puis il se mit à frapper
le côté opposé, dans la direction où il voulait voir tomber l’érable. Sous les
ahanements du bûcheron, les éclats de bois se mirent à voler dans toutes les
directions. Au moment où il allait s’écarter et crier pour prévenir son fils qu’un
arbre allait s’écraser bientôt, l’érable gigantesque, frappé à mort, fît entendre un craquement sinistre et s’abattit
si rapidement qu’Ernest Veilleux n’eut même pas le temps de se mettre
entièrement à l’abri. Il eut beau se jeter de toutes ses forces en arrière pour
éviter l’énorme tronc, ce dernier fondit sur lui en lui coinçant les jambes. L’homme
disparut sous le nuage de neige soulevé par la chute de l’arbre.
Il y eut d’abord
un grand silence parce que Jérôme avait cessé de manier sa hache, surpris de ne
pas avoir été prévenu par son père de la chute de l’arbre. Au bout d’un long
moment, l’adolescent finit par trouver anormal
de ne plus rien entendre et il abandonna son pin pour suivre les traces de
raquettes
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