Les années folles

leurs efforts pour soulever la
maîtresse branche sous laquelle gisait le petit Adrien.
    – Doucement !
recommanda Bruno en dégageant le petit garçon avec l’aide de Clément.
    – Il bouge
pas ! dit Jérôme, alarmé. Il bouge pas, répéta-t-il.
    – Il respire,
dit Clément en se penchant au-dessus du petit blessé. Il est peut-être juste
assommé.
    – Bruno,
prends-le et va le porter dans le traîneau, dit Eugène, bouleversé. Gérald doit
être arrivé au bord du bois. Clément va m’aider à sortir son père de dessous l’arbre.
    Bruno
Pierri prit le petit garçon dans ses bras avec mille précautions et se dirigea
seul vers l’orée du boisé.
    Sans perdre un
instant, Eugène et son fils se remirent à scier une partie du fût. En quelques
minutes, ils furent en mesure de soulever cette section de l’arbre et de
dégager Ernest Veilleux à demi enfoncé dans la neige sous le poids de l’érable.
Ils finissaient au moment où Gérald arriva, essoufflé, près d’eux.
    – Ça y est, p’ pa. Le traîneau est à une trentaine de
pieds, sur le bord du bois. Monsieur Pierri est resté là-bas avec le petit. Il
dit de faire ça vite parce qu’il bouge pas.
    – C’est
correct. On va d’abord voir comment on peut transporter son père sans trop lui
faire mal.
    Eugène
Tremblay se pencha sur celui à qui il n’avait pas parlé depuis plus de trente
ans. Ernest Veilleux avait ouvert les yeux. Il avait le visage blanc et couvert
de sueur. Il claquait des dents.
    – Peux-tu me
dire où t’as mal ? lui demanda Eugène.
    –  À la jambe.
Jésus-Christ ! faites quelque chose ! Sortez-moi de là avant que je
crève.
    – Énerve-toi
pas. On s’occupe de toi, le rassura son voisin.
    – Il
est chanceux d’avoir été frappé juste par une branche. Je pense qu’il serait
mort si le tronc l’avait pogné d’aplomb, ajouta Eugène à voix basse à l’intention
de Clément.
    Clément
regarda les jambes du père de Céline. La jambe droite semblait avoir pris un
angle étrange.
    – Qu’est-ce
qu’on fait, p’ pa ?
    – Il y a pas
autre chose à faire que de le soulever doucement et le porter jusqu’au traîneau.
À quatre, on est capables de pas trop le brasser.
    Le
blessé perdit conscience durant son transport jusqu’au traîneau, malgré toutes
les précautions prises par les secouristes. À leur
arrivée au lourd véhicule, ils trouvèrent un Bruno Pierri dans tous ses états. Eugène
et ses aides étendirent Ernest Veilleux du mieux qu’ils pouvaient à côté de l’Italien
qui tenait dans ses bras le petit Adrien.
    – On dirait
qu’il a de la misère à respirer, chuchota l’Italien à Eugène sur un ton inquiet,
en montrant l’enfant qui gémissait doucement.
    Le cœur serré à
lui faire mal, Eugène s’approcha et se pencha au-dessus du petit :
    – Où est-ce
que t’as mal, petit ? demanda-t-il à Adrien.
    Les
yeux fermés, l’enfant n’eut qu’une plainte sourde.
    – J’aime pas
ça pantoute, dit le cultivateur, la gorge sèche, à Pierri.
    – Qu’est-ce
qui se passe ? demanda Jérôme qui tenait le cheval pour l’empêcher de
bouger.
    – Rien, lui
mentit Clément.
    – Clément, conduis
le Noir ben lentement, commanda son père. Nous autres, on va s’organiser pour
que les blessés en arrachent pas trop dans le traîneau.
    Clément
Tremblay eut beau conduire très lentement l’attelage, les cahots du sentier
arrachèrent plus d’un cri de douleur à Ernest Veilleux, des cris assortis de
blasphèmes qui auraient scandalisé le curé Lussier.
    Lorsque l’attelage
arriva derrière son étable, le cultivateur sembla sortir de son abrutissement
et demanda brusquement en tournant la tête dans toutes les directions :
    – Où est le
petit ?
    – Il est ici,
répondit Bruno Pierri qui tenait l’enfant dans ses bras.
    – Est-ce qu’il
est correct ? demanda Ernest, soudain angoissé.
    – On le sait
pas encore, monsieur Veilleux. À première vue, il a pas l’air d’avoir un
membre cassé.
    – Et moi ?
    – Vous ?
On dirait que vous avez une jambe brisée.
    – Et ça fait
mal en sacrement ! jura le blessé avec une grimace de douleur.
    – On arrive à
la maison, annonça Jérôme pour apaiser son père.
    – Et on va
aller chercher Courchesne à Pierreville en arrivant, ajouta Eugène.
    L’attelage
contourna l’étable et s’arrêta une centaine de pieds plus loin, près de l’escalier
qui conduisait au balcon. À