Les années folles
à fumer la pipe, m’man.
– Et vous
autres ? demanda Thérèse à Aline, Jeannine et Lionel. Ça vous tenterait
pas de promettre d’aller à la messe tous les matins ? leur suggéra leur
mère.
– P’ pa a besoin de moi pour le train, répondit
le garçon. Je pense que, moi aussi, je vais juste me priver de sucré.
– Aline ?
– Moi, j’ai
promis de pas manger de dessert et d’aller à la messe tous les matins.
– Moi, je
vais faire la même chose qu’elle, dit la petite Jeannine, à son tour.
– C’est
correct.
– Et toi, Clément ?
Tu pourrais peut-être aller veiller avec ta Céline seulement le samedi soir, lui
suggéra sa mère le plus sérieusement du monde.
– Ben non, m’man,
protesta Clément. La résolution de ma blonde pendant le carême, c’est de m’endurer
deux fois par semaine.
– Je te parle s érieusement, Clément, le tança sa mère.
– Je le sais,
m’man. J’ai promis de pas fumer du carême.
– Tu vas
faire la même chose, Eugène ? demanda sa femme en se tournant vers son
mari, qui était resté impassible tout au long de l’interrogatoire.
– Pantoute.
– C’est quoi,
ta résolution ?
L’homme à la stature imposante se leva avec un air mystérieux et s’approcha
de sa femme. Il se pencha un bref instant vers elle pour lui chuchoter quelques
mots à l’oreille. Thérèse Tremblay rougit violemment et repoussa son mari du
plat de la main.
– Espèce de
vieux vicieux ! murmura-t-elle entre ses dents, furieuse, avant de lui
tourner le dos .
– Et vous, m’man ?
Est-ce qu’on peut savoir ce que vous avez promis ? osa lui demander son fils
Clément pour la taquiner.
– Tu sauras
que j’ai fait deux promesses. J’ai promis de pas manger de sucré du carême et j’ai
aussi promis de vous endurer.
Clément
se tourna vers son frère Gérald pour lui dire :
– Ouais. J’ai
l’impression que le carême va être pas mal long cette année.
– Pourquoi tu
dis ça ?
– Parce qu’il
y aura pas moyen d’avoir un dessert dans la maison pendant tout ce temps-là. M’man,
Claire et Aline ont promis de pas manger de sucré. Ça veut dire qu’elles feront
pas de dessert pendant tout le carême. Ça veut dire qu’on va être obligés, nous
autres aussi, de pas manger de sucré. Ça, c’est plate.
Le
lendemain soir, les paroissiennes s’entassèrent dans l’église un peu avant
dix-neuf heures pour le début de leur retraite annuelle.
Durant
deux longues heures, le père Lelièvre leur parla avec virulence de toutes les
formes que prenait le péché et il les terrorisa en leur décrivant abondamment
les châtiments éternels de l’enfer. À ses yeux, le moindre plaisir de la vie
dissimulait le vice. De toute évidence, le Dieu de bonté et de pardon n’existait
pas dans son vocabulaire. À la fin de cette première rencontre, il annonça que
le sermon du lendemain serait consacré au péché de la chair et aux devoirs de
la femme mariée. Après une courte prière, le dominicain quitta la chaire et
gagna la sacristie, laissant derrière lui des chrétiennes moins assurées que
jamais d’être sur la voie du salut.
– Il est bien
bête, ce prêtre-là, murmura Thérèse à Yvette Veilleux en sortant de l’église.
– Ma foi du
bon Dieu, je pense qu’il est pire que le prédicateur de l’année passée, ajouta
cette dernière.
– J’ai pas
hâte de l’entendre demain soir, continua la voisine. Le péché de la chair !
Les devoirs de la femme mariée ! Il y a des fois que je me demande ce qu’un
prêtre peut bien savoir de tout ça.
– Si le curé
Lussier t’entendait, fit Yvette en pouffant… En tout cas, il faut pas que je parle d e ce père-là à mon mari : il voudra
jamais venir à la retraite des hommes, la semaine prochaine. Chaque année, c’est
la croix et la bannière pour l’obliger à venir. Il faut presque que je me batte
avec lui pour qu’il se change après le souper et vienne à l’église.
– Eugène non
plus aime pas tellement ça, rétorqua Thérèse. Il dit toujours qu’il aime mieux
dormir dans sa chaise berçante que de venir ronfler sur un banc d’église
pendant la semaine. Il trouve ça plus confortable.
– Ils sont
bien tous pareils ! conclut Yvette Veilleux.
Pourtant,
en ce début de mars 1923, le sort allait faire en sorte qu’Ernest Veilleux n’aurait
pas à participer à la retraite des hommes qu’il détestait tant.
Le samedi matin,
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