Les années folles
l’ouvrage manque pas
là-bas.
– Mais il y a
d’autres filles à Saint-Ferdinand, avait plaidé Germain, dépassé par la
nouvelle situation.
– Je le sais
bien, mais c’est sœur Sainte-Anne qui décide.
– Oui, mais
après, elle va te renvoyer ici.
– C’est loin
d’être sûr, avait continué à mentir la jeune fille. À partir de seize ans, les
sœurs nous placent souvent comme ménagères dans des familles autour de Québec. Si
je suis venue à Saint-Jacques, c’est parce que le curé Lussier a insisté. S’il
demande une cuisinière après Pâques, la supérieure peut aussi bien refuser que
lui envoyer une autre fille de l’orphelinat à ma place.
La mine catastrophée de Germain Fournier lui avait alors confirmé à
quel point son stratagème avait fonctionné. Elle avait ensuite vainement
attendu qu’il se décide à lui poser la question qu’elle voulait entendre depuis
le début, et son humeur s’en était trouvée affectée.
– C’est tout
ce que tu trouves à dire ? avait-elle finalement demandé sur un ton acide.
– Ben. Qu’est-ce
que tu veux que je dise ?
– Je le sais
pas, moi ! avait-elle à nouveau menti. Je pensais que c’était sérieux
entre nous deux.
– C’est sûr
que c’est sérieux, s’était-il défendu.
– On dirait
que t’as pas l’air de comprendre que si on fait rien, je pourrai peut-être pas
revenir ici avant mes vingt et un ans. Est-ce que tu veux attendre deux ans
avant qu’on se revoie ?
– Ben non.
Germain
avait laissé tomber un lourd silence entre eux dans le petit salon d’Agathe
Cournoyer avant de se lancer à l’eau.
– Et si on se
mariait ? avait-il suggéré, le cœur battant.
Durant
un long moment, Gabrielle, fine mouche, fit semblant de réfléchir à cette
option, comme si elle ne l’avait jamais envisagée.
– Est-ce que
c’est une demande en mariage ?
– Je pense
ben que oui, avait fait Germain, le visage rougi par l’émotion, mais fier de
lui.
– OK, mais attends
pas trop pour venir voir monsieur le curé et lui demander ce qu’il en pense. Si
t’attends trop, je risque d’être déjà partie pour Saint-Ferdinand.
La
jeune orpheline avait passé le reste de l’après-midi dans une sorte d’euphorie.
Germain Fournier était prêt à l’épouser. Si tout fonctionnait comme elle l’espérait,
elle serait madame Fournier dans quelques mois et elle vivrait chez elle, dans
sa maison. Plus personne ne lui dirait ce qu’elle devait faire. Fini le temps
où elle était la servante qu’on faisait travailler comme une esclave du matin
au soir. Bien sûr, elle n’allait pas épouser le prince charmant. Il était laid
et ennuyeux, mais…
Lorsqu’il dut la
quitter, à la fin de l’après-midi, Gabrielle avait rappelé à Germain :
– Va surtout
pas dire à monsieur le curé que tu viens le voir parce que t’as peur qu’il me
renvoie à l’orphelinat. Si tu fais ça, il va penser que je regarde son courrier.
Germain l’avait
rassurée avant de quitter la maison de la vieille ménagère. Ce soir-là, l’orpheline
s’était mise au lit en rêvant à tout ce qu’elle ferait lorsqu’elle serait enfin
mariée. À aucun moment, elle n’avait songé à mettre sa logeuse au courant de
son subterfuge visant à pousser son amoureux à demander sa main.
Puis, la journée du lendemain s’était écoulée sans que Germain Fournier
n’apparaisse au presbytère. Au fil des heures, la tension donna une sérieuse
migraine à Gabrielle.
– Mais qu’est-ce
qu’il attend, le niaiseux, pour venir ? se demanda-t-elle vingt fois
durant la journée en serrant les dents.
Le lendemain :
même scénario. Pas de Germain Fournier. Si elle s’était écoutée, Gabrielle Paré
aurait piqué une crise de nerfs juste pour se soulager lorsque vint le moment
de retourner chez Agathe Cournoyer. Toute la journée, elle avait été sur le
bord d’exploser. De plus, elle avait dû supporter les plaintes répétées de la
vieille cuisinière aux prises avec une crise aiguë de rhumatisme. Si son
prétendant avait été devant elle, elle l’aurait assommé avec joie. À quel jeu
jouait-il ? Avait-il changé d’idée ? Lui avait-elle fait peur ? Si
elle avait pu, elle aurait demandé au père Groleau de la conduire chez lui pour
lui demander des comptes.
Gabrielle Paré ne
pouvait deviner que son Germain était aux prises avec deux vaches sur le point
de vêler. Durant ces deux jours, il ne pouvait
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