Les années folles
l’exercice presque aussi épuisant qu’une journée de travail. Enfin, il
déposa sa lettre dans la boîte, de manière à ce que le postier la récupère le
lendemain avant-midi.
Quand Gabrielle
lut le mot de son fiancé, un bref sourire éclaira ses traits. Tout avait l’air
de rentrer dans l’ordre et, de plus, il avait bien retenu qu’elle ne tenait pas
du tout à le voir dans ses jupes durant la semaine. Elle retrouva alors son
entrain coutumier, attendant avec une impatience tout de même un peu teintée d’inquiétude
le samedi soir suivant.
Évidemment, Philibert
Dionne, toujours aussi prompt à répandre les commérages, ne se priva pas pour
faire remarquer chez Hélèna que c’était sûrement le grand amour entre Germain Fournier
et la petite servante du curé. Non seulement ils se voyaient la fin de semaine,
mais ils s’écrivaient des lettres pendant la semaine.
– Si ça a du
bon sens ! s’exclama Hélèna en prenant un air dégoûté. Cette fille-là a
aucune pudeur.
Cette semaine-là, il
n’y eut pas que les amours de Germain Fournier qui furent troublées. Fait étonnant,
si le postier aida à arranger les choses dans un cas, il fut l’agent bien
involontaire qui perturba les fréquentations de Clément Tremblay.
Le mardi
avant-midi, Anne rapporta à la maison une lettre laissée par le postier quelques
minutes plus tôt dans la boîte aux lettres au bord du chemin. Yvette Veilleux, occupée
à repasser des vêtements, remit sur le poêle à bois son fer et prit la missive
que l’adolescente lui tendait. Elle alla s’asseoir à la table de cuisine après
avoir chaussé ses lunettes et ouvrit l’enveloppe. Céline et Anne continuèrent à
plier les vêtements qui avaient été mis à sécher à l’extérieur au début de l’avant-midi
tout en attendant avec une curiosité mal dissimulée que leur mère leur livre le
contenu de la lettre qu’elle lisait. Finalement, Yvette retira ses lunettes et
replia les deux feuillets qu’elle venait de lire.
– Puis, m’man ?
demanda Céline. Qui est-ce qui vous a écrit ?
– Ta cousine
Rachel, répondit sa mère, l’air songeur.
– Mon Dieu !
Ça, c’est rare. Est-ce qu’il lui est arrivé quelque chose de grave ?
– Mais non. Elle
a juste besoin d’aide. C’est seulement dans ce temps-là qu’elle se souvient de
nous autres, la belle Rachel.
Rachel
Gélinas, la fille aînée de sa sœur Marie, avait épousé, quelques années auparavant,
Gédéon Lepage, un notaire de Montréal. À l’époque, ce dernier, un petit homme
fluet qui zozotait légèrement, venait d’hériter de son père d’une somme assez
considérable. Après s’être fait construire une maison confortable boulevard
Saint-Joseph, le couple s’était mis en frais d’avoir une famille nombreuse. Les
Lepage fréquentaient peu la famille. Comme l’avait si bien fait remarquer
Yvette, on n’entendait parler d’eux
que lorsqu’ils avaient besoin de quelque chose.
– Qu’est-ce
qu’elle veut, m’man ? demanda Anne.
– Elle attend
son cinquième et elle aimerait que Céline aille lui donner un coup de main
pendant quelques semaines.
– Il me
semblait qu’elle avait une bonne, elle ? fit Anne.
– Il faut
croire que ça suffît pas.
Yvette
Veilleux jeta un coup d’œil à Céline qui avait cessé de plier les vêtements. La
jeune fille semblait soudainement tout excitée à la pensée d’aller vivre
quelque temps à Montréal.
– Qu’est-ce
que t’en penses, Céline ? s’enquit sa mère.
– Moi, ça me
dérange pas. Si ça peut lui rendre service, je suis bien prête à y aller.
– Et Clément
dans tout ça ? dit sa sœur, sur un ton narquois.
– Je suis pas
mariée à Clément Tremblay, tu sauras. J’ai pas de permission à lui demander.
– En tout cas,
si tu peux pas y aller, je suis prête à me sacrifier, reprit la cadette.
– C’est pas
toi qu’elle veut, c’est moi.
– Whow !
Vous deux, calmez-vous, intervint leur mère en reprenant son fer à repasser. C’est
pas vous autres qui allez décider ça, c’est votre père. Ça me surprendrait pas
qu’il refuse. Vous savez comme moi qu’il aime pas trop votre cousine Rachel.
Quand
Ernest rentra à la maison pour le repas du midi, sa femme attendit qu’il en
soit au dessert avant de lui faire part de la demande de la fille de sa sœur
Marie.
– Pourquoi
elle demande pas à une de ses sœurs ou à une de ses belles-sœurs d’aller
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