Les années folles
lui
donner un coup de main ? répliqua sèchement Ernest.
– Elles ont toutes
des enfants aux couches.
– En tout cas,
elle a du front tout le tour de la tête, la grande madame de Montréal, s’emporta
le cultivateur. La plupart du temps, elle nous regarde même pas quand elle
vient se promener à la campagne, puis lorsqu’elle a besoin de nous autres, elle
se rappelle tout à coup qu’on existe.
– C’est tout
de même de la famille, le raisonna sa femme.
– En plus, elle
prend mes filles pour des servantes.
– Mais non, Ernest.
Elle demande Céline parce qu’elle a confiance en elle pour s’occuper de ses
enfants. En plus, c’est pas pour longtemps. C’est juste pour ses relevailles.
– Moi, je
pense plutôt qu’elle demande notre fille parce que ça lui coûtera rien. Si elle
engageait une femme de Montréal, elle devrait la payer.
– Inquiète-toi
pas pour ça, voulut le rassurer Yvette. Tu sais comme moi que Gédéon est pas
gratteux. Il va sûrement lui payer des gages. Cet argent-là nous serait bien
utile.
Ce
dernier argument sembla légèrement ébranler le père de famille. Il demeura silencieux
durant un bon moment avant de demander :
– Et toi, vas-tu
être capable de te passer de Céline juste au moment où tu vas te lancer dans le
grand ménage du printemps ?
– Je suis
capable de m’organiser avec Anne.
– Et comment
Céline est supposée aller en ville ? poursuivit Ernest qui avait déjà, apparemment,
accepté le départ de sa fille.
– Rachel m’a
dit que Gédéon a maintenant une automobile et qu’il pourrait venir la chercher
dimanche après-midi, si je lui fais savoir qu’on est d’accord pour la laisser
partir.
– Qu’elle y
aille si ça lui tente, trancha Ernest en trempant un morceau de pain dans la
mélasse qu’il venait de verser dans une soucoupe.
En
entendant cette décision, le visage de Céline s’illumina et elle poussa sa mère
à répondre à la cousine Rachel l’après-midi même.
– Chanceuse !
lui dit Anne en réprimant mal sa jalousie. Pendant que je vais être pognée pour
faire du ménage et partir le jardin, toi, tu vas faire un beau voyage en
machine et tu vas aller en ville.
– Aie, ce
sera tout de même pas le ciel ! se défendit mollement sa sœur.
– Essaye pas
de me faire croire que t’as pas hâte de rester dans une belle grande maison, proche
du parc Lafontaine. Tu vas avoir l’électricité dans ta chambre et je suis sûre
que les Lepage ont un radio. À part ça, tu vas peut-être avoir la chance de
faire un tour en petit char.
– T’oublie
que Rachel m’invite pas pour des vacances, protesta Céline. Je vais avoir à m’occuper
de ses quatre enfants et, si ça se trouve, du cinquième quand il va arriver. Il
va falloir faire à manger à tout ce monde-là et les nettoyer.
– Ça fait
rien. Moi, je changerais bien de place avec toi n’importe quand, conclut Anne, envieuse.
Le
samedi soir suivant, pendant que Gabrielle Paré tentait de rétablir tant bien
que mal des relations harmonieuses avec son Germain qui avait enfin cesser de
bouder, Céline accueillait Clément Tremblay avec la nouvelle de son départ
prévu pour le lendemain après-midi.
– Et nous
autres ? demanda le jeune homme, stupéfait.
– Quoi, nous
autres ?
– On se verra
plus.
– Je pars pas
pour des années, Clément, protesta la jeune fille, flattée que son amoureux
trouve la séparation difficile. C’est juste pour deux ou trois semaines, le
temps que ma cousine se remette d’aplomb après son accouchement.
– Et t’as pas
peur que je me trouve une autre blonde pendant que tu vas être partie ? demanda-t-il,
mi-sérieux.
– Non. Je
partirai pas assez longtemps pour ça, répliqua Céline avec beaucoup d’assurance.
Cette
nouvelle perturba suffisamment le jeune homme pour que cette dernière soirée en
compagnie de sa petite amie en soit assombrie. Il était inquiet de constater à
quel point Céline était radieuse à l’idée d’aller vivre quelque s temps dans la grande ville. À aucun moment, elle ne sembla craindre de
s’ennuyer de lui et de leurs soirées au salon. C’était mortifiant. Le laisser
ne paraissait pas la déranger le moins du monde. Lorsqu’il la quitta à la fin
de la veillée, Céline lui promit tout de même de lui écrire au moins une fois
par semaine durant son absence.
Le lendemain
après-midi, Clément Tremblay s’assit seul sur le balcon de la maison
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