Les années folles
avait pris l’habitude
de se réfugier pudiquement à une extrémité en alléguant la fatigue, l’épuisement
ou une migraine quand son mari se faisait trop insistant. Lorsque la jeune femme comprit qu’elle ne pourrait échapper indéfiniment au
désir de son mari, elle fit en sorte de rester debout beaucoup plus tard que
lui et prit l’habitude d’attendre qu’il ait succombé au sommeil avant de se
glisser silencieusement dans leur lit.
En d’autres mots, les
relations physiques la dégoûtaient et elle parvenait mal à le cacher. En fait, elle
n’avait consenti, presque à son corps défendant d’ailleurs, qu’à deux autres
relations dans les six semaines suivant leur mariage.
Comme si cela ne
suffisait pas, Gabrielle avait rapidement cherché à exercer un contrôle de plus
en plus serré sur tout ce qui concernait la ferme. Elle avait une opinion sur
tout et entendait l’imposer à son mari. Ce dernier ne réagit pas tant et aussi
longtemps qu’elle limita sa domination sur la maison. Il comprenait qu’elle
veuille la diriger.
Après
avoir inventorié ce que contenait la maison, la nouvelle madame Fournier s’était
mise à changer les meubles de place et à bousculer l’horaire des repas. Même s’il
en avait été un peu agacé au début, son mari était si amoureux qu’il toléra
tout sans grogner. Quand sa jeune femme se mit à lui donner le plus
sérieusement du monde des conseils pour améliorer l’exploitation de sa ferme, là
encore, Germain se contenta d’en sourire, mettant ses prétentions sur le compte
de la jeunesse et son envie de l’aider.
Mais cette espèce
de préjugé favorable qu’il entretenait durant les premières semaines de son
mariage à l’égard de sa Gabrielle disparut peu à peu, au fur et à mesure qu’il
se rendait compte de l’inacceptable : sa femme ne l’aimait pas et ne l’avait
peut-être jamais aimé.
– Pourquoi
elle m’a marié d’abord ? ne cessait-il de se demander à mi-voix, plusieurs
fois par jour. Pourquoi ?
Il n’était pas
encore capable d’admettre intérieurement que l’orpheline l’avait probablement
épousé pour la sécurité qu’il pouvait lui offrir. Il avait beau n’avoir jamais
eu d’amis assez proches pour avoir entendu parler des relations qui peuvent
exister entre un homme et une femme qui s’aiment, il n’en restait pas moins qu’il
avait fini par comprendre que ce qu’il vivait depuis la mi-juin n’était pas
normal. Ce n’était pas ainsi qu’un mari et une femme devaient vivre. Après sept
semaines de mariage, il ne l’avait jamais même entrevue nue. Il commençait à
réaliser que les folles étreintes qu’il s’était plu à imaginer ne se
produiraient jamais.
Le plus léger baiser prenait l’allure d’une sorte d’aumône qu’elle lui
jetait quand elle désirait vraiment quelque chose. C’était probablement cet
aspect de la personnalité de sa femme qu’il exécrait le plus. Gabrielle
semblait incapable d’un geste gratuit, sans calcul. Elle faisait montre d’une
telle sécheresse de cœur qu’il en était démonté.
S’il avait été
moins timide, Germain Fournier aurait fini par aborder ouvertement le sujet
avec elle pour savoir pourquoi elle l’avait épousé… à moins qu’il eût craint d’apprendre
une vérité qu’il préférait continuer à ignorer. La froide indifférence de sa
femme à son endroit le bouleversait et le rendait profondément malheureux. De
plus, la voir si calculatrice et si peu portée à la générosité le plongeait
dans la plus totale incompréhension. Où était donc passée la jeune fille au
sourire plein de promesses qu’il avait courtisée ?
Par exemple, la
semaine précédente, il avait aperçu de loin le père « Une Cenne », le
quêteux, quittant sa maison alors qu’il revenait du champ. Le vieil homme à la
barbe blanche et à la longue chevelure hirsute passait chaque année, à la fin
de l’été, dans tous les rangs de la paroisse. On l’avait surnommé « Une
Cenne » parce que, le plus souvent, il se contentait des quelques cents qu’on
lui rendait. Or, depuis une dizaine d’années, le vieil homme avait pris l’habitude
de souper et de coucher chez les Fournier lors de son passage dans le rang
Sainte-Marie. C’était devenu une tradition. Il y avait même une paillasse dans la remise qui lui était
réservée et qu’on déposait dans la cuisine d’été lorsqu’il venait.
À son arrivée à la maison, Germain
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