Les années folles
porcs
avec les restes de table laissés près de la porte. Lorsqu’il revint quelques
minutes plus tard, il choisit volontairement d’aller s’asseoir sur le balcon
qui faisait face à la route, laissant à sa femme la section de balcon qui
donnait sur le côté de la maison.
Après le départ de
Germain, Gabrielle avait été partagée entre la colère, le soulagement et la
stupéfaction.
Elle avait d’abord
été enragée de constater que son mari semblait bien décidé à échapper à son
contrôle. Puis, elle avait éprouvé un intense soulagement de ne plus avoir à se
défendre de ses entreprises chaque soir. Enfin, elle avait surtout été médusée
de s’apercevoir, comme lors de leurs fréquentations, à quel point elle avait
aussi mal évalué l’importance de son emprise sur lui.
Maintenant, la
jeune femme regrettait de n’avoir pas mieux suivi le conseil de la vieille
Agathe Cournoyer, qui lui avait bien dit qu’il était dangereux de tirer un peu
trop fort sur la corde parce qu’un homme avait sa fierté, même quand il était
amoureux. Elle se rendait bien compte qu’il avait été près de la frapper. Elle
aurait juré qu’il la haïssait… Était-il possible que lui, si amoureux, ne l’aime
déjà plus ? Impossible ! Elle allait prendre les moyens nécessaires
pour qu’il la supplie de revenir dans son lit. Ça ne devrait pas être trop
difficile.
Ce soir-là, Claire
Tremblay était passée à deux reprises devant la maison des Fournier. La jeune
femme, accompagnée par sa sœur Jeannine, marchait lentement aux côtés d’Hubert
Gendron. Pour la seconde fois en quelques jours, l’ingénieur s’était arrêté
devant la maison d’Eugène Tremblay au moment où ce dernier venait de s’asseoir
sur son balcon pour se reposer après une dure journée à récolter le foin. Le
soleil commençait doucement à baisser à l’horizon.
– Bonsoir, monsieur
Tremblay. Est-ce que vous pensez que je pourrais faire quelques pas sur la
route avec votre fille Claire, lui avait poliment demandé le jeune homme.
– T’as juste
à le lui demander, avait répondu Eugène en lui indiquant sa fille qui arrivait
du jardin situé à l’arrière de la maison.
Claire
ne s’était pas fait prier. Elle n’était entrée qu’un instant dans la maison
pour retirer son tablier et demander à sa sœur de l’accompagner. Pendant près d’une
heure, elle avait marché sur la route aux côtés d’Hubert.
– Qu’est-ce
qui se passe entre ces deux-là ? avait demandé Eugène à sa femme venue le
rejoindre sur le balcon.
– Je le sais
pas, avait menti Thérèse. Mais j’ai l’impression que notre Claire haït pas
pantoute le petit ingénieur.
– Dis-moi pas
qu’elle, qui était si farouche, va finir par se faire un cavalier, dit le
cultivateur en suivant du regard les deux jeunes gens qui s’éloignaient.
– Ça,
on le sait pas encore. Tant qu’elle l’invitera pas à veiller au salon, il y aura
rien de fait, répliqua sa femme. J’espère juste une chose : c’est qu’elle
finisse par oublier une fois pour toutes son histoire avec le petit Dufresne. Ça
va faire presque cinq ans. Il serait temps qu’elle l’oublie.
Ce
soir-là, avant de monter se coucher, Claire chuchota à sa mère :
– Je sais pas
ce qui se passe chez Germain Fournier, m’man, mais on dirait qu’il y a de la
chicane dans l’air.
– Pourquoi tu
dis ça ? demanda sa mère, curieuse.
– Quand on
est passés devant sa maison, le Germain était assis tout seul sur le balcon d’en
avant et elle, elle était assise sur le côté. Ils avaient l’air de se bouder.
– Ça arrive
des fois dans un ménage, commenta Thérèse avec philosophie.
– C’est ça
qui fait peur dans le mariage, reprit la célibataire d’un ton pénétré.
– Il faut pas
s’énerver avec ça, répliqua sa mère. J’ai jamais entendu dire qu’une chicane
dans un couple avait fait mourir quelqu’un.
Chapitre 27
Le chantier
Cet
été-là, à Saint-Jacques-de-la-Rive, il ne serait venu à l’idée de personne de
passer au village sans aller jeter un coup d’œil aux progrès accomplis dans l’érection
du pont sur la rivière Saint-François, face à la forge d’Adélard Crevier. Le
travail allait bon train depuis le début de juillet et un groupuscule de vieux
retraités se tenait en permanence aux abords du chantier pour commenter les
faits et gestes de la quinzaine d’ouvriers qui y travaillaient sous
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